Printemps 1968, au large des côtes italiennes, en eaux internationales. Un jeune ingénieur, Giorgio Rosa (Elio Germano), entreprend la construction d’une île. Son île. Il s’agit en réalité d’une plateforme d’environ 400 m², établie à 500 mètres au-delà des eaux italiennes. L’objectif de l’ingénieur Rosa ? Prouver à celle qu’il aime – son ex-petite amie sur le point de se marier – qu’il est capable de construire un monde à lui, où il fixerait ses propres règles et échapperait à celles de l’État italien. Son entreprise ne manquera pas de susciter la colère des autorités italiennes, aboutissant finalement à la destruction de cette île. Inspiré de faits réels, ce film s’en éloigne tellement qu’il s’apparente plus à une fable. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, la fable peut être un « court récit en prose ou en vers par lequel on exprime une vérité générale, le plus souvent morale, sous le voile de la fiction » (un apologue), ou un « récit mensonger, [une] allégation fantaisiste, controuvée »[1]. Qu’en est-il ici ? S’agit-il plutôt d’éléments d’une vérité générale sous le voile de la fiction qui nous sont contés, ou bien d’un simple récit mensonger ? Répondre à cette question n’est pas aisé, le réalisateur ayant pris d’importantes libertés tant avec les évènements historiques narrés dans cette « incroyable histoire », qu’avec les éléments juridiques. Nous nous proposons toutefois de tenter l’exercice par l’analyse de deux problématiques susceptibles d’intéresser tout particulièrement le juriste internationaliste. Continuer la lecture
Archives de catégorie : Droit international et Cinéma
Baron noir (Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, 2016-) : une exécution extrajudiciaire à la française – Une analyse d’Olivier Corten [*]
Baron noir (créée en 2016 par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon) est une série télévisée française comptant actuellement trois saisons, dont la dernière a été diffusée sur Canal + au printemps 2020. Elle suit les tribulations de Philippe Rickwaert, un député-maire de Dunkerque habité par deux obsessions qui, dans le contexte de la vie politique de la fin des années 2010, paraissent contradictoires : l’Union de la gauche et, comme tout politicien français qui se respecte, la présidence de la République. Remarquablement réalisée (on a presque envie d’aller passer ses vacances à Dunkerque), émaillée par des rebondissements qui, s’ils ne sont pas toujours crédibles, nourrissent le suspense et le dynamisme de la série, émaillée de dialogues savants associant références historiques et savoureuses métaphores, Baron noir se range dans la lignée de productions comme A la Maison-Blanche (Aaron Sorkin, 1999-2006), House of Cards (Andrew Davies, 1990-1995; remake par Beau Willimon, 2013-2018) ou, plus encore, Borgen (Adam Price, 2010-2013). Bien loin de la mise en scène univoque et monochrome de l’homme politique cynique que l’on retrouve dans la version étasunienne de House of Cards autour de Frank Underwood ( v. l’analyse de Jed Odermatt dans la présente rubrique : https://cdi.ulb.ac.be/house-of-cards-season-3-international-law-and-american-power-a-review-by-jed-odermatt/), Philippe Rickwaert (Kad Merad), incarne de façon plus nuancée la tension entre la volonté de se conformer à un engagement sincère et authentique, d’une part, et la nécessité de composer avec les dures réalités de la vie et de la stratégie politique, de l’autre.
Jarhead (2005) de Sam Mendes : Vicissitudes d’une traversée (statique) du désert par les soldats américains après l’invasion du Koweït – Une analyse de Jean-Baptiste Dudant (doctorant contractuel de l’IHEI, Université Paris II Panthéon-Assas)
Quatre jours après l’invasion du Koweït par l’armée irakienne, les Etats-Unis déploient des troupes en Arabie saoudite dans le cadre de l’opération « Bouclier du désert », le 6 août 1990. Parmi les effectifs figure l’escouade des Jarheads, dont le film de Sam Mendes tire son nom et raconte l’histoire. Le long métrage décrit la dégradation de la santé mentale des soldats paralysés dans le désert saoudien à cause des mesures adoptées par le Conseil de sécurité. Le réalisateur met en scène l’impact de la « logique du garrot qu’il était loisible à l’Irak de desserrer à tout moment[1] » adoptée par le Conseil de sécurité et louée unanimement en doctrine. C’est cette logique de l’immobilisme qui est mise en scène dans le film.
Avant d’aborder plus précisément les considérations juridiques, insistons sur le fait que Jarhead est un film de guerre tranchant avec le genre habituel, puisqu’il propose la description d’un conflit où les armes à feu ne sont jamais utilisées par les personnages principaux en-dehors des terrains d’entraînement. Sam Mendes propose son interprétation d’une « drôle de guerre » d’un nouveau type, dont l’immobilisme semble aller à l’encontre de la fonction de combat du militaire. Cette contradiction, présentée comme la négation de la raison d’être du soldat, est au cœur du film.
Au service de la France : l’espionnage par les nuls. Une analyse de Valère Ndior
Le contenu de cette note d’information est conforme à la circulaire ULB-50-BL et a fait l’objet d’une déclassification secret défense. Elle contient des informations relatives aux saisons 1 et 2 de la série « Au service de la France ». Sa lecture doit être suivie d’un pot.
Au service de la France est une série comique diffusée sur la chaîne franco-allemande Arte depuis 2015 et dérivée de la franchise OSS 117. Les deux premières saisons se déclinent chacune en douze épisodes d’une vingtaine de minutes décrivant les activités de renseignement et d’espionnage menées par la France, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960.
Au risque de décevoir le lecteur, la série n’accorde, à première vue, aucune place au droit international, privilégiant un traitement hautement parodique de la conduite des opérations extérieures de la France (I) et de sa coopération avec d’autres agences nationales de renseignement (II). Toutefois, qu’on ne s’y trompe pas : le visionnage attentif d’Au service de la France suscite des réflexions stimulantes sur le rôle stratégique que souhaite assumer l’Etat français au sein d’une société internationale en voie de bipolarisation. Les agents du Renseignement font volontiers passer leurs intérêts et ceux de leur pays avant leurs obligations internationales (lorsqu’elles existent), au risque de porter atteinte aux droits et intérêts d’Etats tiers (III) ou de faire preuve d’ingérence dans leurs affaires intérieures (IV).
Prenez votre faux passeport et suivez-nous dans une excursion vivifiante en territoire ami.
American Sniper (Clint Eastwood, 2014): une apologie de la guerre en Irak ? Une analyse de Vaios Koutroulis
Réalisé en 2014 par Clint Eastwood, le film American Sniper relate la vie de Chris Kyle, considéré comme étant le tireur d’élite le plus meurtrier de l’armée des Etats-Unis (CNN, « Chris Kyle, America’s deadliest sniper, offered no regrets », 25 février 2015, disponible sur : https://edition.cnn.com/2013/02/03/us/texas-sniper-killed-kyle-profile/index.html). Si une grande partie du film est consacrée aux quatre déploiements de Chris Kyle en Irak et à ses exploits militaires, Clint Eastwood explore d’autres facettes de son personnage, comme sa vie avant l’armée, son enrôlement et son entrainement au sein des SEALs, sa vie familiale et les effets de ses expériences militaires sur celle-ci ainsi que, une fois retourné aux Etats-Unis, son engagement auprès des vétérans de guerre en difficulté qui a finalement mené à sa mort, puisque Chris Kyle a été tué par un ancien marine atteint de stress post-traumatique. Bénéficiant d’un très grand succès commercial, le film a aussi été salué par la critique pour ses vertus cinématographiques, décrochant plusieurs nominations aux Oscars 2015, parmi lesquelles une dans la catégorie du meilleur film et une autre dans celle du meilleur acteur pour Bradley Cooper.
Okkupert (Erik Skjoldbjærg, 2015-) : la volonté de l’Etat existe-t-elle ? Une analyse d’Olivier Corten
Okkupert (Occupied, en anglais ou Envahis, dans la version française reprise au Canada) est une série norvégienne diffusée sur Netflix. Bénéficiant d’une production ambitieuse, elle a été acquise par des chaînes situées dans divers pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, ou encore la France (Arte). Occupied touche donc un public relativement large pour une série européenne. Or, le droit international y occupe une place substantielle, comme pouvait le laisser présager son titre, qui renvoie à une notion juridique bien connue, comme son scénario, très axé sur la géopolitique. Dans un avenir proche, Jesper Berg, écologiste convaincu, est nommé premier ministre du Royaume de Norvège. Une de ses premières mesures est de supprimer la production des énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables. Cette décision heurte cependant de plein fouet les intérêts des Etats européens, traditionnellement approvisionnés en pétrole norvégien. Ceux-ci s’allient dès lors à la Russie pour amener Jesper Berg à modifier sa position, en le soumettant à une pression intense dont on découvrira les modalités plus bas. Comme on le constatera, ce dernier accepte finalement que des troupes russes pénètrent en territoire norvégien pour superviser le redémarrage de la production pétrolière. Les spectatrices et spectateurs en viennent alors à se demander s’il n’est pas question d’une véritable occupation de ce pays, d’autant que des ressortissants russes s’y installent, certains infiltrant plusieurs rouages de l’Etat. Continuer la lecture
Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008) : mémoire, droit et responsabilité. Analyses de François Dubuisson et Ninon Grangé
En juin 2016, a eu lieu une séance de ciné-club organisée par le Centre de droit international ainsi que par Sciences Po Paris, dans le cadre d’un cycle « guerre et cinéma ». Le concept consiste à prolonger la projection d’un film par des analyses croisées, se plaçant dans des perspectives différentes, juridiques, politologiques ou philosophiques. Le film Valse avec Bachir a fait l’objet d’analyses proposées par François Dubuisson (ULB) et Ninon Grangé (Paris 8), que vous retrouverez ci-dessous. Continuer la lecture
The Martian (Ridley Scott, 2015) : Can The Protagonist Be Qualified As A Space Pirate? – A review by Klaas Willaert
The Martian is a 2015 American science-fiction film directed by Ridley Scott, based on Andy Weir’s novel of the same name. Matt Damon stars as astronaut Mark Watney, who is mistakenly presumed dead and left behind on Mars. The film depicts his struggle to survive and the efforts of others to rescue him. While figuring out a solution, Mark Watney resides in a NASA-built ‘Hab’, where he uses his scientific and botanical expertise to make water and grow his own potatoes on Mars. Running low on food and left without any options after an accident in the Hab, Mark Watney eventually decides to undertake a desperate attempt to return to earth: he plans on driving a NASA rover to another part of Mars to take control of the Ares IV, a NASA lander that was sent to Mars in preparation for another mission. Continuer la lecture
The Dictator (Larry Charles, 2012). Que veut dire le mot « démocratie » ? – Une analyse de Nabil Hajjami
The Dictator est une comédie réalisée par Larry Charles, sortie sur les écrans en 2012. Le film se veut ouvertement corrosif, burlesque – parfois même franchement graveleux – et satirique. Le ton est donné dès les premières secondes du film, lorsqu’on annonce au spectateur stupéfait que l’œuvre a été réalisée « In Loving Memory of Kim Jong-Il » avec, en gros plan, une image à la gloire du dictateur nord-coréen, disparu le 17 décembre 2011. Continuer la lecture
Ciné-club Guerre et Cinéma : « Battle for Haditah »
Le lundi 12 décembre à 18h aura lieu une nouvelle séance du ciné-club « Guerre et cinéma », organisé conjointement par le Centre de droit international de l’ULB et Sciences Po Paris et qui a lieu alternativement à Bruxelles et à Paris. L’objectif est de croiser les regards de juristes et de politologues sur certaines productions cinématographiques mettant en scène le rôle et les limites du droit en temps de conflit armé. Après Good Kill (Andrew Niccol, 2014), qui traitait de l’usage des drones, et Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008), qui illustrait la guerre du Liban du point de vue israélien, le ciné-club enchaînera avec le film Battle for Haditah (Nick Broomfield, 2007), consacré à la guerre en Irak. Tourné de manière particulièrement réaliste – au point que certains le comparent à un documentaire – le film illustre les difficultés de respecter les règles du droit des conflits armés en cas d’occupation, spécialement le principe de distinction entre civils et combattants. Evitant le manichéisme et les simplifications, il adopte successivement les points de vue des différents protagonistes de la guerre : les soldats de l’armée des Etats-Unis constamment sur le qui-vive, d’anciens soldats bassistes reconvertis en résistants à l’occupation, les familles de civils qui tentent de survivre dans un milieu hostile.
Martyna Falkowska (Centre de droit international, ULB), Ninon Grangé (Sciences Po Paris) et Adrien Estève (Sciences Po Paris) nous exposeront brièvement leurs commentaires avant un débat. La séance se tiendra dans l’auditoire AW1.126 (bâtiment A). Elle débutera à 18h et durera 2h30 au maximum, visionnage du film compris. L’entrée est libre.