Okkupert (Erik Skjoldbjærg, 2015-) : la volonté de l’Etat existe-t-elle ? Une analyse d’Olivier Corten

Okkupert (Occupied, en anglais ou Envahis, dans la version française reprise au Canada) est une série norvégienne diffusée sur Netflix. Bénéficiant d’une production ambitieuse, elle a été acquise par des chaînes situées dans divers pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, ou encore la France (Arte). Occupied touche donc un public relativement large pour une série européenne. Or, le droit international y occupe une place substantielle, comme pouvait le laisser présager son titre, qui renvoie à une notion juridique bien connue, comme son scénario, très axé sur la géopolitique. Dans un avenir proche, Jesper Berg, écologiste convaincu, est nommé premier ministre du Royaume de Norvège. Une de ses premières mesures est de supprimer la production des énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables. Cette décision heurte cependant de plein fouet les intérêts des Etats européens, traditionnellement approvisionnés en pétrole norvégien. Ceux-ci s’allient dès lors à la Russie pour amener Jesper Berg à modifier sa position, en le soumettant à une pression intense dont on découvrira les modalités plus bas. Comme on le constatera, ce dernier accepte finalement que des troupes russes pénètrent en territoire norvégien pour superviser le redémarrage de la production pétrolière. Les spectatrices et spectateurs en viennent alors à se demander s’il n’est pas question d’une véritable occupation de ce pays, d’autant que des ressortissants russes s’y installent, certains infiltrant plusieurs rouages de l’Etat.

Au-delà de diverses questions juridiques évoquées au fil de l’intrigue (droit d’asile, droit de la responsabilité, droit de l’Union européenne, convention européenne des droits de l’homme, droit de la mer, …), c’est toute la pertinence du droit international comme cadre de références apte à réguler les relations internationales qui est posée. En témoigne tout particulièrement cette scène, qu’on retrouve dans la saison 2 (épisode 7). Anita Rygh, devenue première ministre, discute avec ses conseillers de la manière dont il faut procéder pour appréhender Jesper Berg. Celui-ci est alors recherché pour terrorisme et, après avoir fui en France et tenté d’y obtenir l’asile, décide de revenir au pays à bord d’un navire spécialement affrété pour l’occasion. C’est alors que se déroule le dialogue suivant.

  • Conseiller 1 : « Le navire a stoppé à la limite de nos eaux territoriales. C’est maintenant qu’il faudrait arrêter Jesper » ;
  • Conseiller 2 : « Et violer le droit international ? » ;
  • Conseiller 1 : « L’Europe ne protestera pas. Il est recherché pour terrorisme. Il menace la sécurité nationale » ;
  • Anita Rygh : « Mais il sait que, désormais, il est seul. Je ne vois pas l’intérêt de lui prêter plus d’attention. Arrêtez-le quand il sera dans nos eaux territoriales ».

Si le droit international est respecté, c’est non pas en raison de la crainte de la sanction (en tout cas dans son sens classique), mais plutôt parce que sa violation serait difficile à justifier vis-à-vis de l’opinion publique. Tout est manifestement question de proportionnalité entre les avantages et les inconvénients d’une violation du droit, une proportionnalité à évaluer au cas par cas. En ce sens, le droit international apparaît comme un cadre de référence qui influence le comportement des acteurs politiques, même si ce cadre de référence reste relatif. On semble ainsi atteindre un point d’équilibre entre idéalisme naïf et réalisme cynique.

Cette perspective nuancée se retrouve dans le traitement de la question centrale de l’existence et de la détermination de la volonté de l’Etat norvégien. Si la Norvège a valablement consenti à la présence de troupes et d’autorités russes sur son territoire, il ne saurait en effet être question d’occupation, au sens juridique du terme (Vaios Koutroulis, Le début et la fin de l’application du droit de l’occupation, Paris, Pedone, 2010). Mais qu’est-ce qu’un consentement valablement émis ? La volonté de l’Etat peut-elle être libre, dans un contexte international caractérisé par les rapports de force ? Comment faire la distinction entre la simple pression et une contrainte illicite, assimilable à un vice de consentement ou à une intervention prohibée ? Toutes ces interrogations se déclinent sous divers modes tout au long des deux premières saisons que compte actuellement la série, au point qu’on peut se demander si la volonté de l’Etat, présentée parfois comme constituant le fondement même du droit international, existe. Dans la suite de ce bref commentaire, on commencera par s’intéresser aux contraintes militaires et à la manière dont elles sont gérées par le droit international (1), avant d’élargir le propos aux pressions économiques, diplomatiques ou politiques (2). Sur cette base, on reviendra sur la question de l’existence même d’une « volonté de l’Etat », un concept qui semble largement relever de la fiction, comme nous le montre Occupied (3).

1. Volonté de l’Etat et contrainte militaire

Dans le premier épisode de la première saison de la série, une scène déterminera toute la suite des événements. Jesper Berg, récemment entré en fonction et qui vient d’annoncer la nouvelle politique énergétique de son pays, est enlevé par des hommes cagoulés et emmené de force à bord d’un hélicoptère. On le met alors devant un écran, sur lequel apparaît un commissaire de l’Union européenne. S’ensuit le dialogue suivant :

  • [Commissaire européen]. « Je parle au nom de l’Union européenne. M. Berg, vous avez ignoré les besoins de nos citoyens » ;
  • [Premier ministre]. « C’est faux ! Nous offrons à l’Europe l’énergie du thorium » ;
  • [Commissaire européen]. « Comment allons-nous faire rouler nos voitures ? » ;
  • [Premier ministre]. « En changeant les moteurs. J’ai exhorté l’Europe à le faire depuis mon élection » ;
  • [Commissaire européen]. « Il est trop tard. Votre production de gaz et de pétrole va être redémarrée » ;
  • [Premier ministre]. « Attention ! Je suis un chef d’Etat élu. J’applique le programme choisi par mon peuple » ;
  • [Commissaire européen]. « Ça va se faire, avec ou sans vous. La Russie a gentiment accepté d’assister la Norvège [Jesper Berg jette un œil inquiet aux soldats qui l’entourent]. Son armée veillera à ce que votre production retrouve son niveau antérieur.
  • [Premier ministre]. Laissez-moi partir, maintenant ! » ;
  • [Commissaire européen]. « Avons-nous un accord, Monsieur Berg ? » ;
  • [Premier ministre]. « Non ! Tout ceci est inacceptable ! J’exige de parler à un chef d’Etat ! ».

Apparaît alors sur l’écran la première ministre suédoise, qui déclare sa pleine et entière solidarité avec la décision de l’Union européenne. Devant l’énervement et l’exaspération de plus en plus ostensibles de Jesper Berg, les deux soldats qui lui font face dans l’hélicoptère, après un échange de paroles en russe, lui demandent : « Alors, M. Berg, c’est oui ou c’est non ? ». « Je refuse de négocier quoi que ce soit avec vous », répond le premier ministre. « Alors nous allons devoir vous exfiltrer et votre peuple subira les conséquences d’une invasion », réplique l’un des soldats. Finalement, Jesper Berg consent à la présence russe sur le territoire norvégien et modifie radicalement son programme politique dans le sens suggéré par l’Union européenne.

On ne pourrait imaginer meilleure illustration des règles énoncées dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, selon lesquelles :

  • « L’expression du consentement d’un Etat à être lié par un traité qui a été obtenue par la contrainte exercée sur son représentant au moyen d’actes ou de menaces dirigés contre lui est dépourvue de tout effet juridique » (article 51. Contrainte exercée sur le représentant d’un Etat) ;
  • « Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force en violation des principes de droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies » (article 52. Contrainte exercée sur un Etat par la menace ou l’emploi de la force).

Une contrainte explicite et physique est directement exercée sur la personne du premier ministre, dont l’intégrité physique est manifestement menacée. Au-delà, c’est la Norvège comme Etat qui se trouve sous la menace d’un emploi de la force que rien ne semble pouvoir justifier au regard de la Charte des Nations Unies. Certes, en l’absence d’instruments écrits, on n’est pas en présence d’un « traité », au sens de cette convention (voy. ses articles 2 et 3). Mais ces règles peuvent certainement s’appliquer par analogie à un « consentement » au sens du droit de la responsabilité (article 20 du projet d’articles de la Commission du droit international de 2001), lequel doit être « valide » et donc non « vicié par la contrainte » (Commentaire de la Commission, art. 20, par. 4), voire à un « accord tacite » tel qu’on l’a admis dans la jurisprudence internationale (voy. p. ex. C.I.J., Affaire de l’Obligation de négocier un accès à l’Océan pacifique, arrêt du 1er octobre 2018, par. 97). Ainsi, en application de ces règles, non seulement l’accord obtenu doit être frappé de nullité absolue, mais encore les Etats tiers (dont, en l’espèce, les Etats européens) doivent s’abstenir de consacrer ses effets. Entre ici en jeu le principe de droit international Ex injuria jus non oritur, exprimé plus précisément à l’article 41 du projet précité de la Commission :

« 1. Les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40 [c’est-à-dire une violation grave d’une norme impérative, comme l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force].
2. Aucun Etat ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ».

Occupied nous montre toutes les limites auxquelles peut se heurter l’application de ces nobles principes lorsqu’ils sont confrontés à la réalité du terrain (Anne Largewall, Le principe ex injuria jus non oritur en droit international, Bruxelles, Bruylant, 2016). La suite de la série reprend plusieurs scènes où la contrainte militaire est à nouveau mise en scène : « C’est ça ou la guerre », souffle une conseillère au premier ministre norvégien qui a directement succédé à Jesper Berg (Saison 2, Episode 1, 2017) ; « La Russie nous déclarera la guerre si nous soutenons cette résolution », confie Anita Rygh, devenue à son tour première ministre, à l’un de ses proches collaborateurs (Saison 2, épisode 7, 2017). Quant aux Etats tiers, spécialement les européens, non seulement ils ne « coopèrent pas, par des moyens licites » pour mettre fin à la menace russe de recourir à la force, mais ils « prêtent aide et assistance au maintien » de cette situation, en soutenant activement Moscou au nom de la sécurité de l’approvisionnement en énergies fossiles. On est donc bien loin de la mise en œuvre des sanctions prévues par le droit international, l’ONU étant à cet égard purement et simplement absente de la série.

En somme, la série illustre plus généralement les tensions entre une aspiration du droit international à assurer la paix et la realpolitik qui en atténue, et c’est un euphémisme, la mise en œuvre. Le concept de volonté, supposé encadré par le droit, apparaît comme un rempart bien fragile face à la force brute déployée par certains acteurs de la scène internationale. Ce constat à tonalité réaliste s’applique sans doute particulièrement dans les situations de crises comme celles qui est décrite en l’espèce, et on peut se demander, plus généralement, s’il s’étend aux situations où les pressions sont non seulement militaires mais aussi politiques, économiques ou diplomatiques.

2. Volonté de l’Etat et pressions économiques, politiques ou diplomatiques

La série regorge d’exemples de pressions exercées les uns envers les autres par tous les protagonistes. Particulièrement emblématique est l’épisode où le Parlement européen s’apprête à adopter une résolution exigeant le retrait russe de Norvège. La première ministre norvégienne, Anita Rygh, elle-même soumise à des pressions en provenance de Moscou et qui a bâti toute son identité politique sur la possibilité de coopérer utilement avec les autorités russes, tente d’empêcher l’adoption de cette résolution. Mais comment pourrait-elle influencer un vote d’une organisation dont son Etat n’est même pas membre ? On assiste alors à une conférence de presse qui va nous le révéler, et dont voici un court extrait :

  • [Anita Rygh] : « La Norvège a décidé à regret de fermer ses oléoducs dès à présent. Cette mesure n’est qu’une opération de maintenance » ;
  • [Une journaliste] : « Quand les rouvrirez-vous ? » ;
  • [Anita Rygh] : « Cela dépendra de l’étendue des réparations nécessaires ».

La Norvège coupe donc tout simplement le robinet du pétrole, prétendument pour des raisons techniques. Mais la réalité ne fait guère de doute, comme on le comprend en découvrant la teneur de cette conversation téléphonique entre la première ministre et un commissaire européen :

  • [Commissaire européen] : « Ceci est un coup de Jarnac, Madame Rygh. Les Allemands vont mourir de froid ! » ;
  • [Anita Rygh] : « Vous comprenez pourquoi l’Europe doit rejeter cette résolution ? » ;
  • [Commissaire européen] : « L’Allemagne était l’un des rares pays à la rejeter » ;
  • [Anita Rygh] « Alors j’espère que les autres suivront son exemple » […] ;
  • [Commissaire européen] : « Fermer ses oléoducs vous coûtera cher » ;
  • [Anita Rygh] « Nous les rouvrirons, dès que le Parlement européen aura rejeté cette résolution ».

On mesure, à travers cette illustration, la force que peut revêtir une pression économique, une force sans doute comparable à une pression de type militaire. C’est précisément pour cette raison que le droit international semble prohiber l’une comme l’autre, et ce à travers le principe de non-intervention. Ce dernier n’est en effet pas lié à la sphère militaire, comme l’indique cet extrait de la Déclaration sur les relations amicales, adoptée en 1970 et considérée comme reflétant le droit coutumier :

« Aucun Etat ni groupe d’Etats n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. En conséquence, non seulement l’intervention armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou toute menace, dirigées contre la personnalité d’un Etat ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit international […] » (A.G., résolution 2625 (XXV), 24 octobre 1970).

Mais les relations internationales ne sont-elles pas faites quotidiennement de pressions de toutes sortes, rendant ainsi utopiste la proclamation de ce grand principe ? Dans son arrêt sur les Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour internationale de Justice a tenté de dépasser cette tension entre l’idéalisme des textes et les réalités souvent cyniques de la pratique. Elle a d’abord insisté sur l’« élément de contrainte, constitutif de l’intervention prohibée et formant son essence même » (Recueil 1986, p. 108, par. 205), réservant ainsi la prohibition de l’intervention aux mesures les plus intrusives. En l’occurrence, la Cour estime d’ailleurs qu’un embargo économique mis en place par l’administration Reagan n’était pas assimilable à une intervention (C.I.J., Recueil 1986, p. 126, par. 245), sans doute tout simplement parce que les Etats-Unis n’étaient pas obligés (sans obligation conventionnelle bilatérale, par ailleurs violée en l’espèce) de commercer avec le Nicaragua.

Si on transpose ce schéma au scénario de la saison 2 d’Occupied, il n’est pas évident que la fermeture du robinet du pétrole constitue en tant que telle une intervention prohibée dans les affaires relevant de la compétence de l’organisation qui s’apprêtait à voter une résolution. A moins de démontrer que cette fermeture serait par ailleurs contraire à des engagements conventionnels spécifiques, la Norvège pourrait prétendre qu’elle n’est nullement tenue ni de produire ni de livrer du pétrole à qui que ce soit. « Qui peut le plus peut le moins », et libre à elle de décider de le produire ou de le livrer sous condition. La conditionnalité est d’ailleurs une pratique répandue, que l’on trouve à la fois dans le cadre des institutions économiques internationales (Banque mondiale, F.M.I., …) mais aussi de l’Union européenne elle-même, comme l’exemple de la Grèce nous l’a rappelé il y a quelques années. Ainsi, formellement, la Norvège serait libre de conditionner la poursuite de ses fournitures de pétrole ou de gaz, sans qu’il n’en résulte une « contrainte », car l’organisation internationale visée, ou chacun de ses Etats membres, resterai(en)t elle ou eux aussi libre(s) d’opérer les choix qu’elle ou ils juge(nt) opportuns. Les fictions de l’égalité souveraine des Etats et de l’autonomie de leur volonté se conjuguent dans un schéma libéral occultant purement et simplement les phénomènes de domination.

A ce stade, on se trouve confronté à deux interrogations, l’une portant sur l’interprétation du droit international, l’autre sur son essence même. D’abord, on se demande en effet, au vu d’un tel exemple, si la notion de contrainte économique (ou non militaire, plus généralement) a encore un sens. Si des actions aussi intrusives qu’un embargo ou la fermeture de tout approvisionnement de pétrole ne sont pas suffisantes pour conclure à une qualification de contrainte, jusqu’où faudrait-il aller pour atteindre le seuil ? La condamnation de l’interventionnisme économique paraît donc purement formelle, voire fictive. Elle entretient l’illusion libérale d’un libre arbitre de l’Etat et d’une autonomie de sa volonté, ce qui nous mène à un questionnement plus fondamental. Si le droit international tolère les contraintes militaires (en ce sens que, au-delà d’une prohibition de principe, il ne contient aucun mécanisme garantissant effectivement leur répression) et n’interdit même pas les contraintes économiques (l’interprétation de la notion étant tellement restrictive qu’elle semble perdre tout son sens), que reste-t-il de la notion même de « volonté de l’Etat » ?

3. La volonté de l’Etat existe-t-elle ?

La première saison d’Occupied est sortie sur les écrans en 2015, quelques mois après que la Russie ait envahi, occupé puis annexé la Crimée, et que les Etats européens aient réagi en adoptant une série de mesures économiques. En ce sens, et en dépit des invraisemblances du scénario, la série peut prétendre refléter des phénomènes bien réels d’interventionnisme militaire et de pressions économiques. On ne peut d’ailleurs réduire la série à une sorte de russophobie (en ce sens, Serge Halimi, « Quand Arte veut faire saigner la Russie », Le Monde diplomatique, mars 2018). Car la critique qu’elle renferme peut parfaitement être transposée à l’occupation de l’Irak consécutive à la guerre de 2003, par exemple. Une telle occupation était la conséquence directe d’une agression perpétrée par les Etats-Unis, c’est-à-dire d’une « violation grave » d’une « norme impérative » de droit international (articles 40 et 41 du projet de la C.D.I., précité). Comme dans Occupied, on ne peut pas dire qu’une telle violation ait été sanctionnée, le Conseil de sécurité en consacrant les effets en reconnaissant le gouvernement installé sous le contrôle de Washington comme étant apte à exprimer la volonté de l’Irak (voy. not. la résolution 1511 (2003), adoptée le 16 octobre 2003).

Dans toutes ces situations, voire au-delà si on élargit le spectre aux pressions de type économique, la notion même de volonté de l’Etat apparaît problématique. Cette volonté ne peut être constatée comme un fait observable, mais est manifestement construite, à la fois en fait et en droit.

  • En fait, puisqu’elle n’est que le résultat de rapports de force qui se déploient non seulement dans les relations internationales, mais aussi dans la sphère interne. Occupied nous montre aussi, même si on n’a pas eu l’occasion de le détailler, comment la position de la Norvège ne s’élabore qu’à la suite de pressions en provenance d’acteurs divers : les autorités politiques officielles, mais aussi un gouvernement en exil, un mouvement de résistance, les médias, ou encore l’armée. La série nous rappelle encore que chaque individu (les cas du premier ministre Jesper Berg puis de celle qui lui a succédé, Anita Rygh, étant particulièrement emblématiques) est tiraillé entre les impératifs de sa fonction et la poursuite de ses intérêts personnels. La « volonté de la Norvège » n’émerge donc qu’à l’issue d’une construction politique complexe dans laquelle interviennent de multiples acteurs et facteurs.
  • En droit, cette volonté est, on l’a vue, encadrée par des conditions juridiques formellement énoncées dans des textes : formulation par des organes habilités à exprimer la position de l’Etat, mais aussi absence de contrainte militaire ou économique. Et ces conditions prêtent, on l’a constaté, à des difficultés d’interprétation considérables, qui seront surmontées différemment en fonction de l’évolution de la situation politique.

En ce sens, Occupied nous rappelle le caractère fictif de la conception libérale selon laquelle le droit international serait fondé sur la volonté de l’Etat, comme si celle-ci pouvait exister indépendamment de, et préalablement à, celui-là. La série semble plutôt plaider en faveur d’une perspective critique qui conçoit le droit international comme un discours qui à la fois sera déterminé par les rapports de force et réussira à les configurer (Olivier Corten, Le discours du droit international. Pour un positivisme critique, Paris, Pedone, 2009).

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