Eric David s’est éteint le 31 août 2023. Presqu’un an après Jean Salmon, c’est un autre pilier du Centre de droit international qui disparaît.
Eric a obtenu sa licence en droit en 1966 et sa licence spéciale en droit international en 1968. C’est cette même année qu’il a rejoint le Centre et ne l’a, à vrai dire, jamais quitté depuis. Assistant du cours de questions spéciales de droit international en 1972, licencié en sciences politiques et diplomatiques en 1973, il est devenu Agrégé de l’enseignement supérieur en 1976 suite à la défense de sa thèse sur la condition juridique des mercenaires et volontaires internationaux en droit des gens. Au sein de notre faculté, Il était successivement attaché de recherche, chargé de recherche, premier assistant, chargé de cours, professeur ordinaire et, après sa retraite, professeur d’université et professeur émérite.
Son bureau, c’était son ancrage, le lieu où il venait retrouver ses livres, ses documents, mais aussi la vie si active du Centre, au retour de ses voyages aux quatre coins du globe pour des cours, des conférences, des consultations ou des actions militantes. Le lieu où s’est développée et nourrie sa passion pour le droit international humanitaire (qu’il préférait appeler le droit des conflits armés, estimant que la détermination minutieuse des circonstances dans lesquelles il est permis d’ôter la vie à des humains méritait difficilement le qualificatif d’« humanitaire ») et pour le droit international pénal. Ces disciplines, il les avait investies avec un engagement peu commun, bien avant que les bouleversements qu’a connus le monde après la fin de la guerre froide viennent les placer sur les devants de la scène, avec, entre autres la création des tribunaux pénaux internationaux. Il y a consacré l’essentiel de son oeuvre scientifique avec des dizaines d’articles, et son ouvrage phare (Principes de droit des conflits armés), traduit dans plusieurs langues, est devenu une référence majeure dans le domaine – le fait qu’il en soit aujourd’hui à sa sixième édition témoigne on ne peut mieux de son succès. La première édition de l’ouvrage en question a été couronnée du prix de la paix 1994 et du prix Paul Reuter 1994 décerné par la fondation Paul Reuter et le Comité international de la croix rouge – Croix-Rouge qui a financé la traduction de l’ouvrage dans d’autres langues étrangères pour assurer la meilleure diffusion du droit humanitaire.
Les positions qu’Eric défendait sur tel ou tel point de droit particulier ne faisaient pas forcément l’unanimité, mais elles suscitaient toujours le débat, faisaient progresser la réflexion, et répondaient à un objectif constant : faire en sorte que le droit assure une protection aussi étendue que possible aux victimes, que ce soit sous l’angle de la prévention (en renforçant les régimes juridiques applicables à la conduite des hostilités, par exemple) ou sous celui de la répression (en maximisant les possibilités de poursuites pénales à l’encontre des auteurs des crimes de droit international les plus graves). Il était très fier d’être un des pères de la loi belge dite de « compétence universelle » – et il était encore plus fier quand cette loi a été citée par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie comme preuve de l’existence d’une coutume internationale prévoyant une responsabilité pénale pour des crimes commis dans les conflits internes.
Sa passion pour ces deux matières était sans nul doute communicative : il aura marqué des générations d’étudiantes et d’étudiants, en éveillant leur esprit à l’importance et aux subtilités de ces domaines du droit international, leur donnant souvent l’impulsion pour s’y engager dans leur vie professionnelle ultérieure. Tout comme il aura conduit l’ULB à expérimenter, puis à s’investir considérablement dans les concours de procès-simulé en droit international, dont il avait immédiatement perçu toutes les vertus pédagogiques. C’est lui, avec le professeur Daniel Turp de l’Université de Montréal, qui ont créé en 1985 le concours de procès simulé en droit international Charles Rousseau qui réunit chaque année entre 150 et 200 étudiantes et étudiants venant du monde entier pour s’affronter autour d’un cas fictif – et qui retourne l’année prochaine au nid paternel puisque l’édition 2024 sera organisée à l’ULB.
Mais au-delà de ses remarquables mérites scientifiques, Eric apportait aussi une touche exceptionnellement rare dans l’univers souvent austère du droit (et le droit international n’y fait pas exception), une touche de légèreté et de fantaisie. Autant il « faisait du droit » avec sérieux et méthode, autant il insufflait dans ses rapports avec ses collègues et avec celles et ceux qu’il côtoyait un esprit de liberté et de fête, déboulant à tout moment avec des prestations auxquelles nul ne s’attendait – des claquettes au piano, en passant par la déclamation de « classiques ».
Toutes ces facettes de sa personnalité si riche, originale, et attachante sont mises en exergue de la meilleure des façons dans les hommages qui lui ont été rendus lors de la cérémonie du 6 septembre 2023.
Sit tibi terra levis – Que la terre te soit légère.
Pierre KLEIN & Vaios KOUTROULIS