Archives de catégorie : En musique : comme un air de droit international…

word-imageLes contributions à cette rubrique sont consacrées à des morceaux de musique qui suscitent une réflexion en droit international. Bien entendu, on n’y trouvera pas de raisonnements juridiques explicites. Mais, que ce soit au regard des paroles, du titre du morceau, mais encore de la manière dont ce dernier a été créé ou interprété dans la pratique, certains enseignements peuvent en être déduits pour l’internationaliste. C’est en tout cas le pari que nous avons osé en ouvrant cette rubrique…

Pour chaque commentaire, il est conseillé au lecteur/auditeur de commencer par déclencher le morceau de musique pertinent, qui est reproduit via un lien sur un site internet. Il est lui est ensuite loisible de découvrir le texte avec le fond musical approprié, et éventuellement de poursuivre ensuite son exploration en découvrant d’autres morceaux cités dans le commentaire (lesquels peuvent être aisément écoutés par l’intermédiaire de divers sites ou serveurs).

Toute personne intéressée peut envoyer une proposition de commentaire (qui doit faire entre 3 et 5 pages au maximum, paroles de chanson comprises) à Olivier Corten (ocorten@ulb.ac.be) et François Dubuisson (frdubuis@ulb.ac.be).

Présence militaire étrangère et droit international : « Armée française d’Alpha Blondy » – Une analyse de Sâ Benjamin Traoré

 

Il y a quelques jours, la France rendait hommage à treize de ses soldats morts au Mali. L’armée française n’a pourtant pas bonne presse dans les pays de la bande sahélo-sahélienne. La persistance des attaques terroristes y alimente de nombreux questionnements sur la présence militaire française. L’idée s’est dernièrement répandue selon laquelle les forces françaises, visiblement incapables de mettre fin aux attaques quotidiennes, seraient de connivence avec les groupes terroristes. Parfois plus subtilement, il est reproché à la France de profiter de la crise sécuritaire pour s’implanter davantage dans la région. Le terrorisme offrirait ainsi un prétexte à Paris pour assurer une main basse sur la région. Cela expliquerait son manque de volonté de venir à bout du phénomène. Il en a résulté une contestation, sans cesse grandissante, de la présence militaire française dans les pays concernés. Celle-ci se manifeste sous plusieurs formes, au point où on s’inquiète désormais en France d’une montée du sentiment anti français en Afrique.

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Kill for peace ! (The Fugs, 1966) : la guerre, c’est la paix ? — Une analyse d’Olivier Corten

J’ai assisté il y a peu à une curieuse conversation, lors d’un très sérieux séminaire consacré à la légitime défense contre les groupes non-étatiques. Une professeure insistait sur la nécessité d’interpréter strictement les exceptions à l’interdiction du recours à la force, règle impérative du droit international basée sur son objectif ultime, le maintien de la paix. Argument classique s’il en est, fondé notamment sur les premiers mots du préambule de la Charte des Nations Unies (« nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ») et sur l’histoire de son élaboration. Un autre participant au séminaire a pris alors la parole en retournant la perspective : parfois, pour mieux préserver la paix, il faut faire la guerre ! Il n’y a donc aucune raison de privilégier une interprétation restrictive des exceptions à l’interdiction du recours à la force, le respect de la règle pouvant paradoxalement impliquer son apparente violation. Continuer la lecture

Russians (Sting, 1985) : I hope that international lawyers love their children too…. – Une analyse de Jacques Bellezit

Titre pacifiste phare du chanteur Sting sorti en 1985, Russians est une de ses chansons qui évoquent la complexité de toute une époque dans la culture populaire. De la même manière que la chanson Paint It Black des Rolling Stones est associée à la guerre du Vietnam, grâce notamment à Stanley Kubrick et son film Full Metal Jacket, Russians exprime à la fois avec douceur et angoisse la peur permanente de la destruction mutuelle par l’atome qui régnait pendant la Guerre Froide et, par contraste, un message universaliste de fraternité de paix et d’espoir. Continuer la lecture

Entre droit à l’autodétermination et simple autonomie : « Le Blues de la porte d’Orléans » (Renaud, 1975) – Une analyse de Vincent chapaux

Renaud a sorti la semaine dernière son premier album original depuis 10 ans. L’occasion de revenir sur les positions politiques du chanteur qui dit aujourd’hui avoir embrassé un membre des forces de l’ordre (« J’ai embrassé un flic », (Album sans titre), 2016) mais qui n’a pas toujours développé des rapports aussi amicaux ni avec la maréchaussée ni avec l’institution qu’elle représente : l’Etat. Continuer la lecture

Néo-colonialisme et droit international : « J’accuse » (de Didier Awadi) – Une analyse de Sâ Benjamin Traoré

Didier Awadi est un rappeur sénégalais qui s’est progressivement illustré comme l’une des voix les plus influentes de la scène musicale africaine. Cofondateur du mythique groupe Positive Black Soul (PBS), il fait partie des précurseurs du mouvement Hip Hop sur le continent. Si le groupe PBS connait un succès phénoménal auprès de la jeunesse africaine des années nonante, c’est à la faveur d’une carrière solo que Awadi trace son propre chemin. Rappeur résolument engagé, il s’est imposé sur le continent comme une figure emblématique du militantisme politique sur le front musical. Chantre inconditionnel du panafricanisme, il s’insurge constamment contre la mauvaise gouvernance qui mine la plupart des Etats africains et milite fermement en faveur d’une prise de conscience politique de la jeunesse africaine. Didier Awadi se définit lui-même comme « activiste musical, rebelle et marginal » (Ma révolution, 2015). Ainsi prend-il régulièrement position sur des questions de la vie politique aussi bien au Sénégal que dans d’autres pays africains. Son rôle de leader d’opinion le conduit à travailler sur des projets de promotion des droits des enfants avec des ONG comme Plan international. Chevalier de l’ordre des arts et des lettres au Sénégal et en France, Awadi est également l’auteur d’un film documentaire (« Le point de vue du Lion », présenté au Festival de Cannes) dont l’objectif est de poser différemment le problème de l’immigration. Auteur de grands succès commerciaux et malgré sa tendance un peu « bling-bling » ces dernières années, il ne fait pas de doute que son côté militant politique n’a pris aucune ride. Continuer la lecture

Declare Independence (Björk) : le droit à l’autodétermination en question – Une analyse d’Olivier Corten

Björk Guðmundsdóttir, plus connue sous le nom de Björk, est une artiste islandaise qui est principalement connue dans le domaine de la chanson, même si elle a poursuivi parallèlement une carrière d’actrice (on remarquera notamment sa prestation dans Dancer in the Dark (Lars von Trier, 2000), qui présente l’originalité de combiner les genres de la comédie musicale et du film « judiciaire »). Sa carrière solo se développe dans les années 1990, dans un contexte où se popularise une musique électronique expérimentale, associant rythmes hip hop et ambiances sombres inspirées du post-punk. Björk connaît ainsi, parallèlement à des groupes comme Massive Attack ou Portishead, ainsi que des artistes comme Tricky, un succès notable, sa voix haut perchée et ses vocalises parfois atonales et stridentes lui conférant toute son originalité. Continuer la lecture

Ecouter de la musique comme un juriste, ou la porosité du droit et de la culture populaire : une analyse croisée des morceaux Srebrenica (Never Again) de Genocide et Mladic de Godspeed you ! Black Emperor

Une contribution de Martyna Fałkowska et de Arnaud Louwette

« What’s political music? All music is political, right? You either make music that pleases the king and his court, or you make music for the serfs outside the walls. It’s what music (and culture) is for, right? »godspeed genocide

C’est en ces termes que s’exprime le groupe Godspeed you ! Black Emperor dans une de ses très rares interviews données à la presse. Si le punk qui sommeille en nous ne peut qu’être interpellé par cette affirmation, on ne peut nier que les deux morceaux qu’examine cette contribution sont particulièrement politiques. Tous deux sont liés par une thématique commune : celle de la guerre en ex-Yougoslavie et du massacre dans l’enclave de Srebrenica de juillet 1995, plus particulièrement. En tous points musicalement différents, Srebrenica (Never Again) du bien nommé rappeur Genocide et Mladic de Godspeed you ! Black Emperor, l’abordent chacun d’une manière distincte, le premier s’inscrivant dans un discours très explicite de dénonciation et de deuil, le second, un morceau purement instrumental, évoquant, par l’absence de paroles, le caractère indicible de ces événements qui symbolisent, aujourd’hui encore, l’horreur de ce conflit. Continuer la lecture

De l’efficacité du respect et de la violation d’un boycott culturel : Paul Simon, Graceland et l’apartheid – Une analyse de Florian Couveinhes-Matsumoto

A Adrien

Le disque commenté ci-dessous ne parle pas, mais alors pas du tout de droit international. C’est même exactement le contraire : si l’on se contente de regarder sa pochette, de lire ses paroles et bien sûr d’écouter sa musique, il faut vraiment se creuser la tête pour y voir quoi que ce soit de politique ou de juridique. Et c’est voulu parce qu’il ne faut quand même pas tenter le diable : la confection de ce disque pouvait tout de même constituer (ou selon certains aurait pu constituer si elle avait été imputable à un Etat) rien moins que la violation d’une obligation découlant d’une norme impérative de droit international général ! Continuer la lecture

Les résolutions des Nations Unies concernant la guerre du Liban en musique ? « War Crimes (The Crime Remains the Same) », The Special AKA – Une analyse de François Dubuisson

Photo 1D’abord dénommé The Special AKA, The Specials est formé à Coventry en 1977 autour de Jerry Dammers, le compositeur principal, et Terry Hall, son chanteur à la voix nasillarde. Le groupe allie l’énergie du punk-rock aux couleurs de la musique jamaïcaine, puisant largement dans les rythmes syncopés du ska, style apparu à Kingston dans les années 1960. Continuer la lecture

Clash à l’Institut de droit international : Washington Bullets et le principe de non-intervention – Une analyse d’Olivier corten

Macintosh HD:Users:olivier:Desktop:527.jpgThe Clash, formation britannique qui a sorti cinq albums devenus cultes entre 1977 et 1982, restera sans doute dans l’histoire de la musique pop comme un groupe révolutionnaire. Bien sûr, le qualificatif se justifie d’abord par le fait qu’on se situe en présence de l’un des groupes-phare (sans doute le plus connu après les Sex Pistols et, de l’autre côté de l’Atlantique, les Ramones) du mouvement punk, qui a bouleversé les codes musicaux entre 1976 et 1977. Sont ainsi dénoncés les groupes « dinosaures » alors en vogue (Genesis, Pink Floyd, Deep Purple, Yes, …), qui proposent une pop-rock techniquement élaborée, avec de longs morceaux rehaussés par d’impressionnantes vocalises et ponctués par d’interminables solos de guitare sur fond de nappes de synthétiseurs. A l’époque, l’establishment rock prétend confiner au raffinement du jazz voire de la musique classique, mais a sans doute perdu une grande partie de son énergie fondatrice. Continuer la lecture