Agatha Verdebout a réalisé sa thèse de doctorat entre 2012 et 2016, au Centre de droit international, dont elle est actuellement membre associée. Il y a quelques semaines, Rewriting Histories of the Use of Force. The Narrative of Indifference, l’ouvrage reprenant sa thèse publié en 2021 chez Cambridge University Press, a fait l’objet d’un symposium dont les actes ont été publiés sur le blog Opinio Juris: https://opiniojuris.org/2023/02/17/symposium-on-rewriting-histories-of-the-use-of-force-the-natural-law-past-and-future-of-the-prohibition-on-the-use-of-force/
Dans cet ouvrage est remis en cause un récit dominant, toujours particulièrement répandu : celui selon lequel l’interdiction du recours à la force n’aurait émergé que dans la première moitié du 20ème siècle, et n’aurait été consacrée qu’avec l’adoption de la Charte des Nations Unies. Auparavant, la guerre serait restée en dehors du champ d’application du droit international, une vision qui est désignée comme le « récit de l’indifférence ». À l’issue d’une analyse méticuleuse des documents d’époque, Agatha Verdebout remet en cause ce récit en montrant qu’une certaine prohibition de la guerre existait déjà tout au long du 19ème siècle. Plus particulièrement, elle montre que, d’un côté, les États et la doctrine ne concevaient pas l’usage de la force comme un droit illimité, qui ne serait en rien encadré par le droit positif ; de l’autre, ce dernier ne posait que des limites très lâches, en admettant toute une série de justifications pour recourir à la force, ce qui laissait une large marge d’appréciation aux États, et ce d’autant plus que le contrôle opéré par des institutions internationales, particulièrement juridictionnelles, était faible, voire inexistant. Mais pourquoi, dans ce cas, prétend-on très souvent que la réglementation du recours à la force n’est née qu’après la première (voire la seconde) guerre mondiale ?
Dans la dernière partie de son ouvrage, Agatha Verdebout s’intéresse à la généalogie de ce récit de l’indifférence. Après la Grande guerre, la profession des internationalistes a été confrontée à une sorte de dissonance cognitive : d’un côté, on avait chanté les louanges des progrès du droit comme mode pacifique de règlement des différends au tournant du siècle (avec notamment les conférences de La Haye de 1899 et de 1907) mais, de l’autre, cela n’avait en rien empêché l’éclatement puis les terribles ravages causés par la « der des der ». Une manière de dépasser cette dissonance a été de réécrire l’histoire, de construire un récit selon lequel le problème résidait dans les insuffisances du droit de l’époque, … des insuffisances qu’il suffisait donc de pallier pour éviter la survenance de nouvelles guerres. C’est donc à ce moment qu’on a commencé à affirmer que l’interdiction du recours à la force était antérieurement inexistante, et que son affirmation devait permettre de garantir la paix par le droit. C’est aussi à ce moment que les internationalistes se sont, une fois de plus il est vrai, présentés comme l’avant-garde de la pacification des relations internationales.
Ces différents aspects de l’ouvrage, particulièrement originaux et stimulants, ont été au centre des discussions qui constituent le symposium précité. Y ont participé les professeur·es Mary Ellen O’Connell, Alexandra Hofer, Ingo Venzke, Siddhart Mallavarapu et Mohamed Helal . Agatha Verdebout a elle-même réagi à ces différents commentaires : https://opiniojuris.org/2023/02/17/symposium-on-rewriting-histories-of-the-use-of-force-a-rejoinder/ .
Dans sa contribution, Mary Ellen O’Connell écrit :
“Agatha Verdebout’s Rewriting Histories of the Use of Force belongs with Philip Allott’s Health of Nations, Martti Koskenniemi’s Gentle Civilizer of Nations, and Stephen Neff’s Justice Among Nations. All are incisive works of legal and intellectual history explaining the emergence of certain pivotal concepts that continue to shape international law today”.
Ce n’est pas la première fois que l’œuvre particulièrement novatrice d’Agatha Verdebout fait l’objet de discussions parmi les spécialistes de la discipline. Dès 2015, elle publiait un article qui annonçait les résultats de sa thèse dans l’un des premiers articles du Journal on the Use of Force in International Law (https://cdi.ulb.ac.be/wp-content/uploads/2012/12/JUFIL-AV.pdf), lequel avait déjà donné lieu à un commentaire de Tom Ruys (https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/20531702.2015.1042281) ainsi qu’à une table-ronde à l’Université de Reading sous la présidence du professeur James Green (https://cdi.ulb.ac.be/table-ronde-luniversite-de-reading-sur-le-prochain-article-de-agatha-verdebout-podcast-disponible/?fbclid=IwAR0N02fDoeXyULN_oq3q0qiqACguTmVJm1b6oxHUwsM80qiovxBOApL-Jrc).
Avec ce symposium publié sur Opinio Juris, voilà encore une très belle reconnaissance de l’importance et de la qualité de son travail. L’ouvrage d’ Agatha Verdebout, qui a aussi reçu le prix Henri Rolin ainsi que le prix Alice Seghers, mérite décidément d’être lu : https://www.cambridge.org/core/books/rewriting-histories-of-the-use-of-force/F8B9FB0E8CDB1CB1669829ED6BA2E129.