Ayant marqué toute une génération d’une empreinte indélébile grâce à sa bande-son électrisante et ses séquences aériennes spectaculaires, le film culte Top Gun (1986) revient sur le devant de la scène avec une suite longtemps attendue : Top Gun : Maverick (2022) réalisé par Joseph Kosinski. Plus de trente ans après le classique de 1986, cet opus reprend les aventures de Pete Mitchell alias « Maverick » incarné par Tom Cruise, et plonge son personnage dans un contexte militaire international de haute intensité. Le film, au-delà de ses scènes rocambolesques, explore une mission secrète visant à neutraliser un site d’enrichissement d’uranium, construit en violation d’un traité de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (ci-après « OTAN »), dans un État non précisé mais jugé menaçant. Bien que l’ennemi reste anonyme, la menace posée par cette installation est explicitement liée à des enjeux de sécurité internationale. Le Pentagone décide donc de former une nouvelle génération de pilotes d’attaque de l’US Navy pour neutraliser la menace. Lors de la 18ème minute du film, la mission est dévoilée à « Maverick » par l’amiral Bates en présence de l’amiral Beau Simpson :
L’amiral Bates : « La cible…Il s’agit d’une usine d’enrichissement d’uranium non autorisée construite en violation d’un traité multilatéral de l’OTAN. L’uranium produit là-bas représente une menace directe pour nos alliés dans la région. Le Pentagone nous a chargés de constituer une équipe d’attaque et de l’éliminer avant qu’elle ne devienne pleinement opérationnelle. L’usine se trouve dans un bunker souterrain au fond de cette vallée ».
Pas de conseil des alliés de l’OTAN, pas d’Organisation des Nations Unies (ci-après « ONU »), à l’horizon, juste une bonne dose de patriotisme à la sauce hollywoodienne et des pilotes triés sur le volet pour sauver le monde au nez et à la barbe des règles du droit international. Cette mission, menée par les États-Unis, soulève une problématique essentielle : celle de la licéité des interventions militaires dans des contextes de crises de sécurité internationale.
Le film évite toute référence aux règles de droit international qui régissent l’usage de la force armée. Cette omission, bien que compréhensible dans une œuvre de fiction, invite à s’interroger sur la perception du public de la licéité de telles interventions militaires dans des contextes similaires. En abordant la question de l’usage de la force dans un contexte de sécurité internationale, ce film soulève indirectement une problématique qui trouve un écho dans les débats contemporains sur le droit international.
En droit international, l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies dispose :
« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »
Les État membres de l’ONU ont donc l’obligation de ne pas recourir à la force armée contre un autre État. Cette interdiction principielle est, toutefois, assortie de deux exceptions :
- L’autorisation du Conseil de sécurité conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies[1];
- La légitime défense individuelle, collective ou coalisée conformément à l’article 51 de ladite Charte.
Le film ne mentionne aucune résolution du Conseil de sécurité dans laquelle il aurait autorisé- explicitement ou implicitement- les États-Unis à recourir à la force armée pour détruire le site d’uranium. Pas de résolution dans laquelle les termes « recourir à la force » aurait été employés de manière expresse ni les termes « user de tous les moyens nécessaires » qui pourraient être interprétés comme une autorisation implicite. La première exception n’est donc pas applicable dans le contexte de Top gun : Maverick.
La deuxième exception, quant à elle, dépend de la manière dont elle est interprétée : sur le fondement de l’approche restrictive ou sur la base de l’approche extensive[2].
Restrictivement, la légitime défense ne peut être invoquée que lorsqu’elle implique l’existence préalable d’une agression armée commise par l’État sur le territoire duquel la riposte a lieu. Les États-Unis n’ont fait l’objet d’aucune agression armée d’un État ou d’acteurs non-étatiques envoyés par ce dernier ou qui auraient agi en son nom.
Selon une interprétation extensive, une partie de la doctrine considère que le droit de légitime défense est invocable non seulement en cas d’agression armée mais également en cas de menace de recourir à la force armée. Il s’agit donc de la notion de légitime défense préventive.
Dans Top gun : Maverick, il semble que les États-Unis soient dans ce cas de figure de légitime défense préventive puisque l’amiral Bates souligne :
- « L’usine d’enrichissement d’uranium qui est votre cible sera opérationnelle plus tôt que prévu.
- L’uranium brut sera livré à l’usine dans dix jours.
- En conséquence, votre mission a été avancée d’une semaine afin d’éviter de contaminer la vallée ciblée par des radiations » […]
- […] Votre cible est une menace claire et présente. Un site secret d’enrichissement d’uranium sous le contrôle d’un État hors-la-loi».
En droit international contemporain, cette doctrine est difficilement conciliable avec l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Elle ne peut être déduite de la pratique étatique. Elle a été évoquée à l’occasion de quelques précédents tels que les frappes israéliennes des installations nucléaires irakienne en 1981[3] ou encore lors de la crise irakienne de 2002-2003 où les États-Unis ont évoqué la légitime défense préventive pour justifier leur intervention militaire visant à neutraliser des armes de destruction massives[4]. Ces interventions ont été largement critiquées par la communauté internationale[5]. Cet argument juridique a, d’ailleurs, été dénoncé par le Conseil de sécurité des Nations Unies[6] et par l’Assemblée générale des Nations Unies[7] comme étant incompatible avec la Charte des Nations Unies. Peu d’États soutiennent cette doctrine. Le Mouvement des non-alignés, constitué de 120 États, s’y est clairement opposé lors du débat relatif aux 60 ans de l’ONU[8]. Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence de la Cour internationale de justice démontre sa réticence à admettre un tel argument pour justifier un recours à la force armée. Dans l’affaires des Activités militaires et Paramilitaire au Nicaragua, celle de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires ou encore dans l’affaire du Mûr, la Cour a rappelé la nécessité de l’existence d’une agression armée pour pouvoir invoquer un droit de légitime défense[9].
Cette absence de cadre juridique clair dans Top Gun : Maverick soulève donc des interrogations sur la licéité de l’intervention militaire visant la destruction d’un site d’uranium construit sur le territoire d’un État souverain. Elle s’inscrit dans le cadre de la légitime défense préventive qui -comme nous l’avons souligné en amont- demeure très controversée, cette controverse se mêle à une fiction qui présente des interventions militaires unilatérales comme héroïques et nécessaires, contribuant à simplifier des débats juridiques complexes pour le public et à rendre triviales et inefficientes des organisations internationales telles que l’ONU. Ce type de narration, en soutenant une interprétation manichéenne des conflits armés, contribue à glorifier des actions qui s’écartent des normes internationales établies et à banaliser la violation de principes tels que l’interdiction de recourir à la force armée dans les relations internationales. Par cette représentation, le film influence subtilement l’imaginaire collectif, façonnant une opinion publique moins critique face à des violations réelles des cadres juridiques internationaux.
Le film montre les États-Unis dans un rôle hégémonique, où ils prennent l’initiative de garantir la sécurité internationale sans nécessairement consulter, se concerter ou collaborer avec d’autres acteurs internationaux (comme l’ONU ou leurs alliés de l’OTAN). Cela reflète une vision où les États-Unis s’arrogent le droit d’intervenir unilatéralement, comme cela s’est parfois produit dans le monde réel avec certaines interventions militaires justifiées par des considérations de sécurité nationale ou internationale.
En d’autres termes, le film suggère une légitimation implicite de ce type d’actions unilatérales, ce qui rappelle des cas réels où des États ont mené des interventions militaires sans qu’ils n’aient été victime d’une agression armée, sans obtenir d’autorisation du Conseil de sécurité ou de consentement de l’État sur le territoire duquel l’intervention militaire a lieu mais simplement en évoquant des raisons de sécurité ou de menaces imminentes plus ou moins fondées.
La fiction cinématographique, et notamment des œuvres comme Top Gun : Maverick, joue un rôle non négligeable dans la construction d’un imaginaire collectif où les interventions militaires sont perçues comme essentielles et héroïques, a fortiori lorsqu’elles visent à mettre fin à des menaces jugées existentielles. Cette normalisation dans la culture populaire peut influencer la perception du public et justifier, même implicitement, des actions militaires entreprises en dehors du cadre légal établi. Une population convaincue de la justesse d’une intervention militaire sera encline à soutenir les gouvernements qui la mettent en œuvre, même si elle est, au demeurant, illicite. Une telle fiction pose, in fine, non seulement des questions sur la licéité des interventions militaires, mais elle met également en lumière le fossé existant entre la réalité des cadres juridiques internationaux et leur représentation dans la culture populaire.
[1]V. Olivier CORTEN, le droit contre la guerre. L’interdiction du recours à la force en droit international contemporain, 3ème édition, Paris, Pedone, 2020, pp. 519-637.
[2]V. à ce sujet, Olivier CORTEN, « Mais où est donc passée la Charte des Nations Unies ? Représentations et sous-représentations des règles sur l’usage de la force dans les films d’action », dans : Du droit international au cinéma, sous la direction de Olivier CORTEN et François DUBUISSON, Paris, Pedone, 2015, pp. 93-110. V. également pour plus d’informations sur le sujet, Olivier CORTEN, le droit contre la guerre, 3ème édition, op.cit., pp.639-777.
[3]V. à ce sujet, Olivier CORTEN, le droit contre la guerre, 3ème éd., op. cit., p. 693.
[4]Ibid, p. 691.
[5]Ibid.
[6]Résolution 487 (1981) adoptée le 19 juin 1981 par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
[7]Résolution 36/27 adoptée le 13 novembre 1981 par l’Assemblée générale des Nations Unies.
[8]V. à ce sujet, Olivier CORTEN, le droit contre la guerre, 3ème éd., op. cit., p. 681.
[9]Ibid, pp. 696-697.