L’homme qui en savait trop (Alfred Hitchcock, 1956) : « I’m not responsible for the complications of international law » – Une analyse de Yann Kerbrat

L'homme qui en savait tropNe serait-ce que pour cette superbe réplique, qu’on entendra à la fin du second des extraits reproduits ci-dessous, la version « américaine » de L’homme qui en savait trop mériterait de trouver place dans une série de commentaires sur le droit international et le cinéma. Au-delà, l’intrigue du film tout entière pourrait constituer la trame d’un cas pratique pour des étudiants en droit international. Dans un Maroc sous domination coloniale française, un ressortissant américain, le docteur Ben Mc Kenna (James Stewart) en congé à l’hôtel Mamounia de Marrakech avec son épouse Jo (Doris Day) et son fils Hank, est témoin du meurtre d’un Français rencontré peu auparavant, qui lui révèle, au moment de mourir, un complot visant à assassiner à Londres un premier ministre étranger. Cherchant à faire pression sur lui pour obtenir qu’il n’en informe pas les autorités, des complices du crime (les Draytons) profitent de son absence de l’hôtel pour enlever Hank et le conduisent en Angleterre. S’ensuit une recherche palpitante des deux époux à travers Londres. Elle connaîtra un épilogue heureux dans les locaux diplomatiques de l’Etat de nationalité du premier ministre menacé, grâce à la célèbre chanson Que sera, sera, chantée à tue-tête par Doris Day.

Le film met en scène diverses violations de la souveraineté de la France, puis du Royaume-Uni ; il montre une situation, celle d’un enlèvement international d’enfant, qui, aujourd’hui, fait l’objet de plusieurs conventions internationales, dont la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il comporte surtout deux scènes qui évoquent explicitement — la chose est suffisamment rare pour être relevée — le droit international et, en particulier, le droit diplomatique et consulaire.

La première scène à lieu Marrakech : après le meurtre de Louis Bernard (Daniel Gélin) sur la place Jemaa el-Fna, le docteur Mc Kenna est invité à témoigner au commissariat de police, français puisque l’action se déroule à l’époque du Protectorat… Sentant l’interrogatoire tourner au vinaigre, il est interrompu par un coup de téléphone qui lui apprend que, s’il révèle quoi que ce soit sur les propos que Louis Bernard lui a tenus juste avant de mourir, son fils, qui vient d’être enlevé, en subira les conséquences. C’est alors que, pour s’échapper de ce mauvais pas, il menace de faire alerter le consul des Etats-Unis, par l’intermédiaire du concierge de l’hôtel Mamounia: « Si nous ne sommes pas rentrés dans un quart d’heure, il appellera le consulat américain ». Le policier local n’insiste pas, et lui demande simplement de signer sa déclaration.

On peut voir dans cette scène une application, sans doute un peu maladroite, de la règle codifiée plus tard à l’article 36.1.b de la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, qui énonce que « si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de I’État de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention ». La règle a depuis lors été interprétée par la Cour internationale de Justice comme établissant un droit au profit des individus, susceptible d’être invoqué par eux dans le cadre de procédures pénales internes (arrêts LaGrand (2001) et Avena (2004)).

La seconde scène se déroule à Londres, peu après celle de l’assassinat manqué du premier ministre étranger au Royal Albert Hall. La discussion suivante s’engage entre les époux Mc Kenna et l’officier de police britannique chargé de l’enquête (Buchanan) :

Le dialogue, traduit maladroitement dans la version sous-titrée, donne en français :

« – Buchanan : Les Draytons sont à l’ambassade.

– Jo McKenna: Comment le savez-vous?

– Buchanan: Nous avons les moyens de le savoir – d’une source “interne”.- Dr McKenna: Si les Draytons sont à l’ambassade, Hank doit s’y trouver également!- Buchanan : Vous avez probablement raison. Mais nous ne pouvons rien faire.

– Dr McKenna : Pourquoi ne pouvez-vous rien ?

– Buchanan : Chaque ambassade dans un pays étranger a des droits extra-territoriaux.

– Dr McKenna : Que cela signifie-t-il en langage courant ?

– Buchanan : En ce qui nous concerne, cette ambassade se trouve en territoire étranger.

– Dr McKenna : Cela signifie-t-il qu’on peut voler des enfants et les y cacher ?

– Buchanan: Nous pourrions demander au ministère des Affaires étrangères d’engager une action contre l’ambassadeur… Vous savez, je ne suis pas responsable des complications du droit international ».

La dernière réplique illustre avec beaucoup d’humour, tant les incidences du droit international sur le droit interne que l’éloignement du citoyen, fût-il agent public, des conditions de sa formation. Les échanges qui la précèdent portent quant à eux témoignage d’une conception un peu datée du statut des ambassades, selon laquelle les celles-ci étaient placées dans une situation d’exterritorialité qui justifiait que leur soient reconnues des exemptions et des immunités. L’impossibilité qu’ils relatent n’en demeure pas moins d’actualité, quoiqu’on la présente aujourd’hui comme une conséquence de l’inviolabilité dont jouissent les locaux diplomatiques. Elle résulte de la règle, codifiée à l’article 22.1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 : « les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission ».

Yann Kerbrat

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

1 réflexion sur « L’homme qui en savait trop (Alfred Hitchcock, 1956) : « I’m not responsible for the complications of international law » – Une analyse de Yann Kerbrat »

  1. Arnaud

    Merci pour cette analyse!

    La réponse du policier dans le premier extrait mérite également d’être soulignée et évoque elle aussi l’article 36.1.b de la Convention sur les relations consulaires sur laquelle la commission du droit international venait tout juste de commencer à travailler à la sortie du film:

    « But Monsieur, if you had only told me in the first place that you wished to consult with your consul… »

    On note en effet que l’article 36.1.b crée certes un droit dans le chef d’un individu à ce que, à sa demande, le poste consulaire de l’Etat dont il est ressortissant soit averti de sa détention. Il crée en outre, in fine, un droit à être informé de cette possibilité de demander l’intervention des autorités consulaires.

    « [Les autorités compétentes de l’Etat de résidence] doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa »

    L’intérêt de cette précision est évident. Si le docteur Mc Kenna semble bien au courant de son droit à ce que soient informées ses autorités consulaires, il n’est en effet pas certain que tout un chacun fasse montre de la même culture du droit des relations consulaires… (Voy. à cet égard l’arrêt Avena § 64)

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