« Ce film ne vise qu’à distraire. L’action se situe au Moyen-Orient. Les événements actuels lui donneront sans doute un relief que nous ne souhaitions pas. Notre équipe est composée des chrétiens, de juifs, de musulmans. Nous sommes des amis. Nous comptons bien le rester ». Cet avertissement, ajouté in extremis avant même que ne débute le générique du film, ne se comprend que si l’on prend la peine de resituer La Valise dans son contexte historique.
Projeté en pleine Guerre du Kippour, puisque le film est sorti quelques jours après le début des hostilités, le 11 octobre 1973, La Valise est un film surprenant, fortement influencée par l’école idéaliste et que je n’hésite pas exploiter dans le cadre de mon cours de Relations internationales de 1ère année de licence, tant deux minutes de rires en garantissent vingt d’attention. Mélangeant comédie sentimentale et faits politiques graves, un tel film ne pourrait plus être tourné aujourd’hui. Cette œuvre narre en effet les aventures d’un agent du Mossad (le commandant Bloch) et d’un membre des services secrets français (le capitaine Augier) qui doivent traverser plusieurs pays arabes en compagnie d’une ravissante saltimbanque (Françoise), dont ils sont tous les deux amoureux et dont les charmes vont leur permettre de se tirer des situations les plus délicates.
Tournée par Georges Lautner, sur un scénario de Francis Veber, avec Mireille Darc, Jean-Pierre Marielle, Michel Constantin, Amidou, Michel Galabru et Jean Lefebvre, la présence de cette comédie franchouillarde, comme le cinéma français en produisait à l’envi dans les années 70, pourrait de prime abord surprendre dans la liste des longs-métrages méritant un commentaire s’agissant de leurs incidences au regard du droit international. A l’instar de L’Arme fatale 2, film analysé par Marco Benatar, le scénario de La Valise est cependant étroitement lié au droit diplomatique et consulaire. Le film offre en outre une série de scènes posant des questions de droit international.
Où le commandant Bloch manque de finir comme le cardinal Mindszenty
L’extrait du film que l’on peut voir ci-dessus se déroule dans le contexte suivant : en mission à Tripoli, le commandant Bloch (Jean-Pierre Marielle) des services secrets israéliens, dont la couverture a été dévoilée, se voit contraint de se réfugier au sein de l’Ambassade de France afin d’échapper à ses poursuivants. Celui-ci étant « grillé dans tous les pays arabes » et afin de ne se fâcher « ni avec les Israéliens, ni avec les Arabes », décision est prise par les autorités françaises de ne pas « le jeter dehors », mais de ne pas non plus « le garder ». En vertu de l’article 22 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, les locaux diplomatiques sont en effet inviolables et les autorités de l’Etat accréditaire ne peuvent y pénétrer sans l’accord du chef de la mission (CIJ, arrêt du 24 mai 1980, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran et arrêt du 19 décembre 2005, Activités armées sur le territoire du Congo). L’inviolabilité des locaux diplomatiques a donné lieu à la pratique – contestée – de l’asile diplomatique (CIJ, arrêts du 20 novembre 1950 et du 13 juin 1951, Droit d’asile) et le commandant Bloch aurait dès lors tout à fait pu séjourner durablement au sein de l’ambassade de France. Il n’aurait du reste pas été le premier à vivre une telle situation. Le cardinal Mindszenty, archevêque de Budapest, s’est en effet réfugié en 1956 dans les locaux de l’ambassade américaine, pour y rester près de quinze ans…
Sans doute le cardinal était-il trop vieux pour voyager dans une valise, fusse-t-elle diplomatique et aménagée à cet effet. Face à la colère de l’opinion publique libyenne, qui manifeste devant l’ambassade, mission va en effet être confiée au capitaine Augier (Michel Constantin) d’exfiltrer le commandant Bloch par le biais de la valise diplomatique, en l’occurrence une grosse malle-cabine. Comme on l’aura constaté au vu de l’extrait du film qui ouvre ce commentaire, tout est prévu pour un voyage le plus confortable possible : casque, sangles, babouches, trous d’aération invisibles et même des pastilles destinées à éviter une toux aux conséquences potentiellement dramatiques. La malle devant bien évidemment voyager dans le compartiment pressurisé de la soute, destiné aux animaux.
Francis Veber se serait ici inspiré d’un fait divers authentique. Ce dernier (Philippe Durant, Les éléphants, Sonatine Editions, Paris, 2012) fait en effet état d’une situation analogue qui se serait jouée en 1964, à l’aéroport de Fiumicino, à Rome, lorsque des agents secrets égyptiens auraient utilisé la valise diplomatique pour tenter d’emmener clandestinement au Caire un agent israélien qu’ils avaient capturé. Bien qu’anesthésié, ce dernier se serait réveillé au beau milieu de l’aéroport, alertant tout le monde par ses cris, à commencer par les douaniers italiens qui se seraient empressés de le libérer et d’arrêter ses tourmenteurs. L’opinion publique internationale aurait alors découvert qu’il y avait une catégorie de voyageurs un peu à part, qui se déplaçaient dans des valises, à défaut d’en avoir eux-mêmes.
Que cette anecdote soit vraie ou fausse, toutes sortes de choses ont à l’évidence pu transiter par la valise diplomatique. L’article 27 de la Convention de Vienne le permet de fait, en posant le principe de la liberté des communications officielles. En vertu de cette immunité de la valise diplomatique, qui ne peut être ni ouverte ni retenue, stupéfiants, armes, objets d’art ou autre matériel d’écoute ont ainsi parfois pu franchir les frontières sans difficultés. On peut toutefois douter que des hommes l’aient fait par ce biais. Ce serait sous-estimer la sagacité des services de contre-espionnage. S’agissant plus spécifiquement des services secrets libyens, l’exemple de l’attentat du Lockerbie, certes postérieur au film (CIJ, ordonnance du 14 avril 1992, Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie) permet ainsi de penser qu’en voyant sortir cette énorme valise de l’ambassade, dangereusement arrimée dans le coffre de la « R 16 » frappée du sigle « CD », ceux-ci auraient en réalité tout mis en œuvre pour que l’avion choisi n’arrive pas à destination.
En l’espèce, c’est une attaque de pirates de l’air (autre forme de violation de la convention de Montréal de 1971) qui contraindra l’avion emprunté par nos protagonistes à atterrir en plein désert tunisien et qui relancera par là même une histoire qui commençait autrement à s’enliser.
Où la notion de droit de passage inoffensif prend tout son sens
Opposés en tout point, tant la classe du commandant Bloch tranche avec la mesquinerie et l’étroitesse d’esprit du capitaine Augier (ce dernier, antisémite et raciste, ne songe qu’à gonfler ses notes de frais, les deux hommes vont cependant tous les deux tomber amoureux de la même femme : Françoise (Mireille Darc), artiste de music-hall spécialisée dans un numéro de télépathie et qui réside à l’hôtel où une grève surprise du personnel de l’aéroport va les contraindre à séjourner deux jours durant.
A l’origine des malheurs du commandant Bloch – c’est elle qui a involontairement contribué à « griller » sa couverture –, Françoise va également séduire le capitaine Augier, chargé par le premier de surveiller les faits et gestes de cette dernière pour les lui rapporter. Embarquée vers Paris par le capitaine Augier dans l’avion qui emporte également la malle ou se trouve le commandant Bloch, Françoise va subir le détournement de l’avion et aider Augier à prendre la fuite à bord d’une jeep qui mène nos trois héros sur un port de la côte tunisienne. C’est là que Françoise va également séduire « Baby » (Michel Galabru), armateur grec et obsédé sexuel caricatural, qui accepte de la prendre à bord de son Yacht, accompagnée d’Augier alors présenté comme son frère et à destination de la proche Sicile.
A peine embarqué, Baby entreprend de faire payer son passage en nature à Françoise, qui résiste. Pressé d’intervenir par Bloch, Augier rétorque alors qu’il attend que le navire soit « sorti des eaux territoriales tunisiennes ». Entend-il par là la seule mer territoriale (articles 2 et 3 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer) ? Ou bien attend-il également que soit franchie la limite de la zone contiguë (article 33 du même instrument) ? Nul ne le saura jamais car, trop préoccupé par la satisfaction de ce qu’il considère comme son dû, Baby aborde involontairement un contre-torpilleur égyptien, dont on se demande bien ce qu’il pouvait faire dans les eaux territoriales tunisiennes. Droit de passage inoffensif sans doute (articles 17 à 26 de la Convention de Montego Bay), les canons dans l’alignement du navire, qui tranche avec un autre type de droit de passage, bien moins inoffensif celui-ci et qu’entendait faire payer l’ignoble Baby à la pauvre Françoise.
Quoi qu’il en soit, cet abordage va permettre l’arrivée d’un nouveau personnage, le lieutenant Fouad (Amidou) des services de renseignements égyptiens.
Où il est déjà question de « rayer Israël de la carte »
Au vu de sa tenue blanche impeccable, l’on aurait pu croire que le lieutenant Fouad serait d’une conscience professionnelle à toute épreuve et s’avérerait totalement incorruptible. C’était sans compter le pouvoir de persuasion de Françoise. Alors même que celui-ci demande à ouvrir la valise, c’est en réalité Françoise qui va lui ouvrir son cœur et voilà notre beau lieutenant, à l’esprit aussi rigide que son uniforme, qui tombe amoureux à son tour et accepte de mettre à la disposition de sa conquête un canot de sauvetage pour qu’elle s’y embarque avec son frère.
Ne pouvant s’empêcher de s’y glisser lui aussi, Fouad va profiter de la traversée pour faire état de ses projets d’avenir à Françoise, conditionnés néanmoins par le rejet préalable « de tous les juifs à la mer », promettant du reste à celle-ci, plusieurs dizaines d’années avant le président Ahmadinejad, que « l’Etat d’Israël sera rayé de la carte ». Jeté à la mer par Augier avec la malle contenant le commandant Bloch, c’est pourtant ce dernier, par le biais de ce bagage, qui permettra indirectement à Fouad de survivre (il ne sait pas nager…) et de regagner le rivage où il découvrira la dure réalité [01 :18 :55 à 01 :23 :30].
Où Mireille Darc apparaît comme un médiateur plus efficace que Jimmy Carter et Bill Clinton réunis
Entraînés dans de nouvelles péripéties en territoire tunisien, les quatre protagonistes vont finalement de nouveau se retrouver à la frontière libyenne, encerclés par les forces tunisiennes, pour, s’agissant des trois personnages masculins, convenir de la vacuité de leurs engagements respectifs au regard des sentiments qu’ils éprouvent pour Françoise. Augier va ainsi prendre la décision de démissionner de l’armée française, Bloch de quitter le Mossad et Fouad de ne pas se constituer prisonnier en Egypte. L’Israélien et l’Egyptien, le chrétien, le juif et le musulman, « enfin devenus des adultes » selon les termes même du capitaine Augier, réconciliés sur la base d’un projet commun : suivre la femme qu’ils aiment.
Le film se termine du reste sur une nouvelle intervention de Françoise, destinée à influencer le jeune officier libyen commandant les forces qui les entourent et dont tout porte à croire qu’il va lui aussi très certainement rejoindre le petit groupe pour de nouvelles aventures. Influencé par tant de naïveté et de bons sentiments et le cœur pourtant durci par l’analyse et l’étude de la pratique internationale, l’on ne peut alors s’empêcher de songer que si Mireille Darc avait été dépêchée à Camp David ou à Oslo, ou mieux encore dans les bureaux respectifs de Benjamin Netanyahou et des principaux dirigeants du Hamas, peut-être la situation au Proche-Orient ne serait-elle pas celle l’on connaît encore aujourd’hui : quasi identique, quarante après, à celle prévalant lors du tournage du film ; ses arguments s’avérant apparemment autrement plus convaincants que ceux de médiateurs aux méthodes plus classiques. Une nouvelle technique de règlement pacifique des différends en somme, qui mériterait d’être insérée dans l’article 33 de la Charte des Nations unies, à n’en point douter.
Philippe Lagrange
Professeur de droit public à l’Université de Rouen