Le 20 janvier 2017, en sonnant chez Vaios Koutroulis qui nous invitait pour célébrer la fin du cours de Contentieux international et exercices de plaidoiries, nous ne nous attendions pas à devoir, quelques mois plus tard, à Cotonou, défendre les intérêts de la République de Grand Popo et ceux du Lomeland devant le S.E. M. Ronny Abraham, le Président de la Cour internationale de Justice.
A peine une semaine plus tard, nous avions rendez-vous avec notre coach dans cette belle aventure, Laurent Weyers, qui a été pour nous, au droit international, ce que Roger Federer est au tennis. Après cette réunion, nous avions bien compris que ce concours prendrait dorénavant une grande place dans notre vie quotidienne. Moins de deux mois plus tard, nous devions rendre nos deux mémoires écrits. Ce laps de temps nous paraissait raisonnable jusqu’à ce que nous réalisions l’ampleur de la tâche, sans compter l’adresse dont il fallait faire preuve afin d’échapper aux patrouilleurs durant nos séances de travail nocturnes à l’université (et ce, afin de profiter au maximum du dictionnaire de droit international public de Jean Salmon). Par ailleurs, développer les arguments du Lomeland et du Grand Popo concernant l’utilisation d’une plateforme pétrolière installée en zone contestée à des fins de cyber-attaques n’était pas une mince affaire. En effet, nous devions balayer de nombreux domaines du droit international dont nous ne maîtrisions pas les subtilités. Fort heureusement, nous pouvions compter sur Chérifa, la secrétaire du Centre de droit international, pour remonter le moral des troupes dans les moments de doute. Si ces semaines ont été dures en labeur, elles furent cependant extrêmement enrichissantes, tant académiquement qu’humainement.
Nos doigts éreintés et nos yeux fatigués cédèrent ensuite leur place à la parole. A partir du mois d’avril, nous avons effectué de nombreuses plaidoiries, nous améliorant jour après jour, usant de la patience et de l’expertise de plusieurs assistants du Centre. Cela nous a permis de développer une rhétorique adaptée aux questions des juges, que ces dernières soient pertinentes pour le litige ou simplement posées dans le but de nous pousser dans nos derniers retranchements. Il semble que cette capacité n’était innée chez aucune d’entre nous, puisqu’à de nombreuses reprises, après pléthore d’améliorations, nos auditeurs soulignaient notre « capital sympathie » comme étant l’atout principal de nos prestations.
Il n’a pas fallu longtemps pour que le stress d’avoir à plaider devant un jury d’examen particulièrement pointilleux, composé de Anne Lagerwall, Francois Dubuisson et Vaois Koutroulis, cède la place à celui d’avoir à nous défendre face à des équipes venant du monde entier. En effet, le lendemain de l’examen, nous avons embarqué pour Cotonou, là où le concours avait lieu cette année. Le buffet des Nations, organisé le premier soir, nous a permis de renforcer ce fameux « capital sympathie en faisant profiter les autres participants des produits du terroir belge, c’est-à-dire le boudin et la bière. Ces heures de détente étaient grandement bienvenues avant notre réclusion des jours suivants dans notre chambre d’hôtel (celle-ci étant telle que, matin, midi et soir, nous étions dépendantes du room service qui a veillé à ce que nous nous sustentions correctement). En effet, chaque minute de notre séjour était dédiée à contrer les arguments des différentes équipes que nous allions affronter. Les rares moments où nous sortions de notre lit, faisant également office de bureau, étaient consacrés à la rentabilisation de la piscine panoramique de l’hôtel. Les journées se succédaient donc au rythme des plaidoiries de qualification, affrontant des équipes chaque fois différentes devant des juges d’universités du monde entier.
Lors d’un somptueux diner à l’Université d’Abomey-Calavi, on nous annonça la qualification de notre équipe en quart de finale ; une source d’excitation mais aussi de stress. Si le fait de plaider à quatre – chose que nous n’avions jamais faite auparavant car nous avions jusque là toujours plaidé deux par deux, soit en demande, soit en défense –, nous a donné une énergie et une force nouvelles, la moitié d’entre nous devaient, du jour au lendemain, défendre les intérêts d’un État qu’elles s’évertuaient à attaquer depuis des mois. Cette exaltation a également été source de consternation pour notre coach, nous voyant, cinq minutes avant la plaidoirie, faire tomber un ordinateur par terre, partir à la recherche de nos chaussures égarées sous les décombres de nos feuilles de brouillon, ou encore provoquer un bourrage de papier de notre imprimante alors que celle-ci n’avait pas encore terminé sa tâche essentielle, celle de nous fournir nos plaidoiries. Cette énergie et ce stress nous ont néanmoins permis d’avancer jusqu’en finale.
Cette finale fut un moment riche en émotions. En effet, après une semaine de travail intense, nous avons plaidé face à l’Université de Sherbrooke, devant une Cour composée de dix juges, et présidée par l’actuel président de la Cour internationale de justice, S.E. M. Ronny Abraham. Nos plaidoiries furent également écoutées par un parterre de deux cents personnes, en ce compris des journalistes assez envahissants (l’une d’entre nous a d’ailleurs eu à se battre intérieurement pour ne pas s’évanouir face aux projecteurs éblouissants). Mais cela nous valut tout de même un passage au journal télévisé béninois! La deuxième place, qui nous fut attribuée lors de la soirée de clôture, récompensa tous les efforts fournis depuis de nombreux mois.
Quelques jours plus tard, profitant de la côte béninoise, nous réalisions tout ce que cette expérience nous avait apporté. Nous n’imaginions pas, quelques mois plus tôt, former un quatuor si soudé, passant d’une équipe d’étudiantes à un groupe d’amies. Il est évident que ce n’est pas toujours facile de concilier des caractères différents dans un travail de groupe, mais lorsque cela fonctionne, chacun en ressort différent, humainement grandi. En outre, ce concours nous a permis d’approfondir fortement nos connaissances juridiques, dans un laps de temps restreint et à un rythme intense. Nos cinq années universitaires ne nous avaient jamais permis d’aller aussi loin dans la réflexion juridique, et surtout, n’avaient jamais suscité en nous une telle passion pour le droit. Ce fut, pour chacune d’entre nous, l’expérience la plus enrichissante que l’université nous ait apportée. Nous encourageons donc vivement les futurs étudiants du master de spécialisation en droit international à sauter pieds joints dans cette incroyable aventure.