Archives de catégorie : Le droit international : bon pour le musée ?

word-imageDevant le siège des Nations Unies à New York est placée une sculpture de Carl Fredrik Reuterswärd, représentant un révolver au canon tordu par un nœud. L’œuvre, intitulée « non violence », symbolise de manière particulièrement claire l’objectif principal de l’Organisation. Plus généralement, on peut se demander comment des œuvres relevant des arts picturaux ou plastiques suscitent la réflexion à propos de certains principes ou concepts de droit international. En ce sens, le droit international est depuis longtemps présent non seulement au cinéma, dans la littérature ou dans la bande-dessiné, mais aussi au musée.

Pour chaque commentaire, on trouvera tout d’abord une reproduction de l’œuvre choisie, suivie d’un texte la mettant en relation avec une réflexion intégrant le droit international.

Toute personne intéressée peut envoyer une proposition de commentaire (qui doit faire 3 pages au maximum) à Anne Lagerwall ( alagerwa@ulb.ac.be ).

« De facto » de Thomas Van Den Driessche et « Black garden » d’Alvaro Deprit : Les républiques auto-proclamées non reconnues, saisies par la photographie comme par le droit ? – Une analyse d’Anne Lagerwall

Deux tanks, deux républiques dont l’indépendance a été proclamée suite à l’éclatement de l’U.R.S.S. sans jamais avoir été reconnue par les autres Etats. Deux photographes qui ont eu envie de rendre compte d’une réalité qui ne jouit « d’aucune reconnaissance internationale », pour reprendre les termes de la présentation du travail de Thomas Van Den Driessche à propos de la Transnistrie (http://www.thestoryinstitute.com/de-facto/, notre traduction) ou qui « n’apparaît pas sur les cartes », pour reprendre les termes de la présentation du travail d’Alvaro Deprit à propos du Haut-Karabakh (http://www.alvarodeprit.com/unnamed-3, notre traduction). Leur intérêt pour des situations qui existent effectivement à défaut d’exister formellement renvoie à celui des internationalistes se consacrant à l’étude de ces lieux de tension où viennent s’entrechoquer des considérations de légalité et d’effectivité. Les photographes et les juristes ne sont certes pas mus par les mêmes préoccupations. Leurs questionnements présentent toutefois ceci de commun qu’il s’agit, pour les uns et pour les autres, d’interroger la réalité et le fonctionnement d’un Etat qui n’existe qu’à ses propres yeux. C’est à partir de cette interrogation partagée qu’il semble possible de rapporter la manière dont ces photographies appréhendent la Transnistrie et le Haut-Karabakh à la façon dont le droit international les aborde. On verra que si l’illicéité de l’instauration et du maintien de ces républiques n’y est pas évoquée (I), les photographies alimentent un débat de nature juridique au sujet de ces entités créées illégalement en les mettant en scène comme une réalité lumineuse qui s’impose dorénavant, pour ce qui est de la Transnistrie, ou comme une réalité sombre qui semble encore instable mais dont on espère qu’elle se normalise dans l’intérêt de ses habitants, pour ce qui est du Haut-Karabakh (II). Continuer la lecture

« Environmental Justice », une analyse de l’œuvre de Ricardo Levins Morales par Laurent Weyers

ejRicardo Levins Morales, né sur l’île de Porto Rico, vécut ensuite à Chicago, dans le New Hampshire, à Boston, avant de s’établir finalement à Minneapolis, où il vit encore aujourd’hui. Initié par ses parents à l’art de la contestation populaire, il se fit très tôt expert dans le secteur des dessins et caricatures politiques. Comme il l’écrit sur la page de présentation de son site internet : « Je suis un artiste activiste…ou est-ce plutôt un activiste artiste ? » Puis, poursuit-il : « (…) c’est impossible de distinguer vraiment l’un de l’autre. » Et, de fait, son œuvre intitulée Environmental Justice – conçue voici déjà plus d’une dizaine d’années – incarne bien le combat que mène le mouvement de justice climatique, à savoir d’œuvrer à ce que les risques résultant du réchauffement climatique soient le plus également répartis. Continuer la lecture

Barbara Kruger – « Your body is a battleground » (1989) – Une analyse d’Anne Lagerwall

body battlegroundUne image en noir et blanc d’une personne anonyme, un slogan qui interpelle personnellement le spectateur par une affirmation assénée sur fond rouge à l’aide de caractères d’imprimerie blancs dont la police Futura Bold paraît empruntée à une presse écrite d’antan. Pas de doute. On est face à un photomontage de l’américaine Barbara Kruger dont l’œuvre consiste à détourner l’imagerie publicitaire propre à la société de consommation aux fins d’en dénoncer les structures oppressives. Le droit – et a fortiori le droit international – y semblent a priori peu convoqués. Le contexte dans lequel cette œuvre a été produite et utilisée la place toutefois au cœur d’une lutte menée par les mouvements féministes pour revendiquer le droit des femmes de disposer librement de leur corps, une lutte dont la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits montre qu’elle a encore toute sa raison d’être aujourd’hui, comme on l’expliquera dans un premier temps. Plus fondamentalement, l’affiche traduit sur un plan esthétique plusieurs considérations qui caractérisent généralement les approches critiques du droit et du droit international, attachées à une conception conflictualiste de la réalité dont elles entendent révéler les rapports de force afin de les dénoncer et à une réflexion relative au style de discours qui permet d’opérer une telle dénonciation, comme on l’abordera dans un second temps. Continuer la lecture