Lors du récent colloque organisé par cette maison sur les représentations du droit international au cinéma et dans les séries télévisées, un constat s’est imposé : si les films traitent de problématiques qui sont indéniablement liées au droit, ils abordent rarement ces problématiques juridiques de front. La question s’est dès lors posée de savoir si notre discipline était suffisamment glamour et sexy aux yeux du grand public pour mériter un traitement plus minutieux de la part de l’industrie cinématographique.
La réponse à cette question, j’ai choisi de la chercher dans les chick flicks – littéralement « films pour poulettes » – et, plus particulièrement, dans les adaptations cinématographiques des livres éponymes de Helen Fielding, Bridget Jones’s Diary et Bridget Jones : The Edge of Reason. Plus que le droit international en tant que tel, nous verrons qu’une variété spécifique d’internationalistes – le « droit-de-l’hommiste » – apparaît comme, indéniablement, sexy.
L’histoire de Bridget Jones est elle-même librement inspirée du roman Orgueil et préjugés de Jane Austen (1813). A 32 ans, Bridget (Renée Zellweger), célibataire et abonnée aux relations dysfonctionnelles, décide de prendre sa vie en main. Sa mère, par ailleurs déterminée à la caser avec un homme de bonne famille, s’arrange pour lui présenter, lors du traditionnel turkey-curry buffet de nouvel an de la famille Jones, Mark Darcy (Colin Firth), un barrister londonien spécialisé dans les droits de l’Homme. Les premières impressions sont désastreuses ; elle le trouve prétentieux ; il la trouve pathétique : « I do not need a blind date. Particularly with a verbally incontinent spinster who smokes like a chimney, drinks like a fish and dresses like her mother ». Bridget Jones et Mark Darcy seront néanmoins amenés à se revoir, et les préjugés négatifs qu’ils nourrissent l’un envers l’autre vont doucement s’effriter.
Chez Bridget, le déclic semble s’opérer lorsque, dans le cadre de son nouveau travail pour l’émission télévisée Sit up Britain !, elle est chargée de couvrir la décision de la High Court of Justice dans l’affaire Aghani-Heaney. Kafir Aghani est présenté comme un combattant de la liberté kurde marié à une anglaise, Helena Heaney. Ensemble, ils se battent depuis plusieurs années afin d’éviter que Kafir ne soit extradé vers un pays indéterminé où il serait très certainement exécuté. Partie s’acheter des cigarettes à l’épicerie du coin, Bridget rate la sortie du couple de la High Court, réduisant ainsi à néant ses chances d’obtenir une interview. Heureusement, au même moment, Mark Darcy, qui n’est autre que l’avocat de Kafir Aghani et Helena Heaney, se trouve dans ce même petit magasin. Il offre, alors, à Bridget un entretien exclusif avec ses clients. Il offre, alors, à Bridget un entretien exclusif avec ses clients (voir les extraits ci-dessous).
Plusieurs observations peuvent être faites à partir de ces extraits. En guise de petite mise en bouche, j’aimerais brièvement attirer l’attention du spectateur sur l’échange qui s’effectue entre Bridget et son patron au début de la séquence. Après lui avoir expliqué de quoi il retournait dans la fameuse affaire, on remarquera que Bridget ponctue cet exposé d’un sincère « Ah, that’s exciting ! », ce que son patron confirme d’un légèrement exaspéré « Yes it is… ». On sait dès lors, déjà, que le droit international, sous certain de ses aspects, traite de problématiques « excitantes » aux yeux du grand public.
D’un point de vue purement juridique, il semble, en outre, que l’on retrouve ici l’application de l’exception politique à l’extradition, d’une part, et, plus clairement peut-être, de l’interdiction de la torture par « ricochet », de l’autre. De manière fort intéressante, The Guardian nous apprend que l’affaire Aghani-Heaney du film aurait été inspirée par l’affaire Kani Yilmaz, du nom du porte-parole de l’ERNK – la branche politique du PKK (The Guardian, « The Real Mr. Darcy », 11 avril 2001, disponible sur: http://www.theguardian.com/uk). Au milieu des années 1990, l’Allemagne, où il était recherché pour terrorisme, avait demandé son extradition au Royaume-Uni. La situation de Kani Yilmaz avait apparemment suscité un émoi important au sein de l’opinion publique britannique, où de nombreux groupes de soutien s’étaient formés. Afin d’éviter son extradition, se défense avait plaidé l’exception politique, laquelle fut toutefois rejetée par les juridictions anglaises. L’image du personnage de Kafir Aghani dans Bridget Jones’s Diary est, cependant, clairement moins controversée : il est présenté comme un militant des droits de l’Homme et certainement pas comme un terroriste – « Kafir Ugani has spent his entire life defending the basic human rights of his own people », nous dit Darcy. Il ajoute également que :
« Today’s verdict has been the result of five years of struggle by this woman, Helena Heaney, to save the man she loves from an extradition order that would have been tantamount to a death sentence ».
D’un point de vue plus « psychosociologique », l’extrait amène également quelques réflexions. En particulier, on constate que la profession de Darcy lui permet d’endosser un double, voir un triple, rôle de sauveur : il sauve son client d’une mort certaine, il sauve Bridget d’un probable licenciement et, d’une certaine manière, il sauve aussi l’amour entre Kafir et Helena. En somme, c’est un esprit noble, un héros… un chic type quoi ! Il faut bien dire que, de manière générale, dans les chick flicks, l’homme convoité est rarement titulaire d’un travail qui ne rayonne pas d’un minimum de réussite et de prestige social ; il sera plus souvent médecin, avocat, financier à Wall Street ou directeur créatif d’une agence de pub. Les médecins, il faut bien l’avouer, ont particulièrement la cotte : ils sauvent des vies ; ils seront, la plupart du temps, aisés ; et si en plus ils sont pédiatre, c’est le jackpot. A mon sens, l’internationaliste – ou plutôt le « droit-de-l’hommiste » – est le pédiatre, ou mieux encore le médecin sans frontières, des avocats. Il est, dès lors, carrément sexy.
The Guardian nous apprend encore que Helen Fielding se serait inspirée de l’avocat Mark Muller – un barrister londonien qui représenta, notamment, Abdullah Öcalan devant la CEDH – pour le personnage de Mark Darcy. Muller, qui ne fut pas seulement consulté par Fielding lors de la rédaction du livre, mais aussi par l’équipe du film au moment du tournage, partage, d’ailleurs, entièrement notre analyse. Il estime ainsi que:
« If you’re trying to create a character who’s noble but also a bit dark, a barrister is not a bad one to go for. And if you’re thinking about a modern day knight in shining armour, most lawyers don’t fulfil that criteria, but human rights lawyers do: righting wrongs and representing people who are disadvantaged. Especially if they happen to come from a privileged background and they don’t really need to do it ».
En somme, l’avocat spécialiste des droits humains pourra venir combler le fantasme féminin, à la fois si profondément archaïque et terriblement ancré, du mâle dominant, de l’alpha. Au début du deuxième opus, Bridget Jones : The Edge of Reason, l’héroïne n’aura d’ailleurs de cesse de se vanter de sa conquête amoureuse. Ainsi, quelques minutes après le début du film, la voix off de Bridget nous apprend que : « Mark Darcy is perfect. Not a fuckwit alcoholic workaholic pervert or megalomaniac, but total sex god and human rights lawyer ». Pareillement, peu de temps après, alors qu’en retard au travail, Bridget est accueillie par un sympathique « Ah ! Bridget… late again » de la part de la secrétaire, elle lui répond guillerette: « Sorry… I was in bed with my boyfriend. He’s a human rights lawyer you know? ». Elle récidive une dernière fois encore lorsque son patron, quelque peu intéressé, lui propose d’aller boire un verre le soir même. Bridget répond alors que: « Oh, I can’t. I have to go out with my boyfriend. He’s a human rights lawyer you know? ». Manifestement, il y a donc de quoi susciter l’envie des femmes, et la jalousie des hommes.
Du reste, le valeureux Mark Darcy aura, de nouveau, l’occasion de voler au secours de sa belle, armé de son droit international. Après deux mois idylliques de relation, Mark et Bridget se séparent pour des raisons qu’on ne détaillera pas ici. Promue à la présentation d’une nouvelle émission de voyage avec son ancien patron, Daniel Cleaver (Hugh Grant) – ennemi juré de Darcy avec qui elle avait entretenu une brève mais torride aventure dans le premier film –, Bridget se retrouve coincée en Thaïlande. Deux kilos de cocaïne se sont, en effet, malencontreusement glissés dans ses bagages et notre héroïne est amenée dans une prison pour femme de Bangkok, où elle risque 15 à 20 ans de réclusion. L’assistant du consul de Grande-Bretagne lui rend visite et lui fait comprendre qu’ils ne tiennent pas spécialement à engager beaucoup d’efforts en vue d’obtenir sa libération. C’est toutefois sans compter sur Mark Darcy, qui remuera ciel et terre pour que les poursuites contre son ex soient abandonnées. Ce n’est qu’en rentrant à Londres que Bridget apprendra, par l’entremise de ses amis, que c’est à lui et à son habilité diplomatique qu’elle doit son retour à la maison.
On voit donc, que Darcy a des contacts, et pas des moindres. Sont ici mentionnés deux cabinet-ministers, le MI5, Interpol, le Home Secretary et l’ambassadeur britannique en Arabie Saoudite. En outre, à plusieurs reprises dans cette deuxième partie des aventures de Bridget Jones, Mark Darcy est surpris en pleine consultations que ce soit avec le Secrétaire général d’Amnesty International, l’ambassadeur du Mexique ou encore le Ministre du commerce péruvien. Ces scènes contribuent à la construction de l’aura du personnage de Darcy en lui donnant une carrure plus internationale mais aussi plus « institutionnalisée ». On dépasse le côté généreux et désintéressé de l’avocat spécialisé des droits de l’homme, pour acquérir une sorte de « légitimité étatique » ; il est, en résumé, également proche du pouvoir, objet de fantasmes par excellence.
Partant, lorsque le journaliste du Guardian pose, à la fin de son article, la question de savoir si Mark Darcy peut faire pour les avocats ce que Al Pacino a fait pour les journalistes d’investigation dans le film The Insider – c’est-à-dire les rendre sexy -, je réponds assurément : oui ! Une petite ombre doit néanmoins être apportée à ce tableau ; depuis que la menace terroriste se fait sentir plus fermement en occident, l’image du human rights lawyer s’est écornée. Ainsi, quelques semaines après les attaques sur le Tube londonien en 2005, le journal conservateur, The Telegraph, soulignait que : « the role of solicitors and barristers working in the area of human rights has come under scrutiny as never before » (Andrew Alderson, « A Hard Time for Human Rights Lawyers », The Telegraph, 31 juillet 2005, disponible sur : www.telegraph.co.uk). De défenseur de la veuve et de l’orphelin, le « droit-de-l’hommiste » est aussi devenu le potentiel avocat des terroristes. Ainsi, à titre illustratif, on me faisait remarquer il y a quelque jour que, dans le 18e épisode de la saison 4 de 24h Chrono, c’est David Weiss (Evan Handler), d’Amnesty Global, qui endosse clairement le costume du « méchant ». Alors que la Cellule anti-terroriste s’apprête à mener un interrogatoire un peu musclé afin de soutirer des informations qui permettront de déjouer un projet d’attentat sur le sol américain, c’est cette ONG qui tentera d’empêcher Jack Bauer et ses amis d’accomplir leur noble tâche. On remarquera, en outre, qu’on passe du charme tout flegmatiquement britannique de Colin Firth au physique, il faut bien l’avouer, moins élancé d’Evan Handler. Toutefois, on se trouve ici face à deux types de production diamétralement opposées: la série télévisée d’action, d’une part, et la comédie romantique, de l’autre. Qu’en est-il, par conséquent, après les attentats du 7 juillet 2005, de notre Mark Darcy ? Le troisième tome, Bridget Jones : Mad About the Boy, est sorti en 2013 et l’adaptation cinématographique serait en cours. Je crains, malheureusement, qu’on ne puisse y trouver beaucoup de réponses – à moins que s’en soit une – car, Marc Darcy n’est plus. Il serait néanmoins décédé lors d’une mission pour le Foreign Office au Darfour, sa voiture ayant sauté sur une mine. Comme tout bon chevalier, il est donc mort au combat.
Cette représentation chevaleresque doit, néanmoins, susciter une réflexion plus profonde sur la reproduction et la persistance des stéréotypes de genres dans ces films, dont le public cible sont les jeunes femmes. Dans les deux opus, Bridget a besoin d’un homme ; si pas Mark Darcy, alors Daniel Cleaver, et inversement. Tant Darcy que Cleaver sont des figures « dominantes » – l’un est un avocat renommé appartenant à la haute société, l’autre est un alumni de Cambridge et était son patron – alors que Bridget assume une position subalterne : moins instruite, moins sophistiquée, moins privilégiée. D’une manière ou d’un autre, elle doit toujours être sauvée par son prince charmant, lequel lui apporte sécurité affective et matérielle. Elle est, en somme, une énième Cendrillon ; c’est le schéma narratif typique de la plupart de ces « films pour poulettes ». Ce schéma, on le retrouvait du reste déjà dans Orgueil et préjugés de Jane Austen. Ce qui distingue néanmoins fondamentalement Elizabeth Bennet de Bridget Jones, c’est que bien qu’elle subit une pression sociétale en ce sens, Lizzie n’a pas internalisé ce besoin d’un homme : elle reste un esprit indépendant. Certains estiment, dès lors, que si Jane Austen avait vécu au XXIe siècle elle aurait très certainement tué Mark Darcy. Peut-être est ce là, enfin, l’émancipation tant attendue de Bridget du patriarcat…
Agatha Verdebout
Chercheuse-doctorante, boursière « Mini-Arc » au Centre de droit international de l’ULB
Le caractère massivement séduisant du droit international ne se limite pas uniquement à la substance, voire aux idéaux que cette discipline véhicule. Il semblerait qu’il est également – si pas principalement – à rattacher à ceux et celles qui vivent et font vivre le droit international au quotidien. Je ne parle pas d’académiques – quelle idée! – mais bien de celles et ceux qui occupent le sommet de la pyramide « internationaliste » – les juges de la CIJ. Et pour preuve, ce petit lien croustillant trouvé sur le célèbre site Buzzfeed qui fait passer des nuits blanches à des milliers de personnes dans le monde entier…
En l’occurrence, il s’agit d’un classement des juges de la CIJ en fonction du degré de leur… sex appeal. Le post a été créé par des lecteurs (lire: « internationalistes ») du site en question. Bien que les commentaires soient parfois un peu courts ou limités à un ou deux mots, l’idée générale reste séduisante, si j’ose dire.
Qu’un tel classement soit créé – et qu’on soit d’accord, au final, avec le ranking lui-même – pose tout de même une question. Notre imagination est-elle sensible aux individus appelés à porter la robe de magistrat dans les juridictions internationales? Ou bien, nos sens sont-ils éveillés, presque par un réflexe pavlovien, à l’idée même de la figure symbolique du juge international indépendamment de l’individu qui l’incarne?
Voici le lien : http://www.buzzfeed.com/jewellfeed/ranking-the-sexiest-judges-of-the-international-co-nnuk
Nous apprenons à l’instant les fiançailles de George Clonney, non avec une mannequin célèbre où une actrice en vue mais avec Amal Alamuddin, décrite par le presse comme une British Human Rights Lawyer. Cette nouvelle confirme que les conclusions de A. Verdebout s’appliquent à l’écran comme à la ville. On constate en effet que le potentiel sexy de la profession ne se limite pas aux chick flicks. Et on doit remarquer aussi que les stéréotypes de genres persistent. Certes, c’est bien une femme qui est ici à la place de l’homme dépeint dans Bridget Jones. Mais le différentiel de pouvoir reste le même : l’homme garde le rôle du chevalier et la femme, celui de la (tout de même très compétente et très talentueuse) princesse.
Tous nos vœux de bonheur !
http://www.theguardian.com/film/2014/apr/27/george-clooney-engaged-british-human-rights-lawyer