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L’étude du droit, fût-il international, n’exclut pas une méthodologie sportive. Le Président du Centre de droit international de l’ULB, Eric DAVID, profitant des disponibilités que lui procure son accès à l’éméritat en a fait l’expérience sur les pistes du désert – le Neguev/Naqab – en Israël. Il a participé à une randonnée cycliste organisée dans la région de Be’er Sheva par une association belge – Solidarity with Bedouins – désireuse d’attirer l’attention du public sur la situation difficile des Bédouins vivant dans des villages non reconnus par Israël. En voici les conclusions où la force des mollets du cycliste se conjugue aux neurones du juriste …
1. Le soussigné revient d’une randonnée (de marcheurs et de cyclistes) organisée par une association belge – Solidarity with Bedouins (SwB) – dans le désert du Neguev (Naqab en arabe) en Israël du 1er au 6 avril 2013 (carte et photos 1-4). Cette randonnée reliait plusieurs villages bédouins non reconnus par l’administration israélienne, autour de la ville de Be’er Sheva. Ayant pu constater de visu la situation des Bédouins en Israël (photos 5-6), le soussigné souhaite réagir à l’émotion des observations et des rencontres (photos 7-9) par l’analyse froide et, espère-t-il, lucide du droit international applicable à la question.
A. Les faits
2. Avant 1948, quelque 92 000 Bédouins arabes vivaient dans le Neguev/Naqab. La guerre de 1948 entre Israël et ses voisins entraîna l’exode de la majorité de la communauté bédouine vers les pays voisins. Les 11 000 Bédouins qui restèrent sur place furent rassemblés dans le nord du Neguev/Naqab par le gouvernement militaire d’Israël dans une zone appelée « Siyag » (clôture en arabe) [1]. Les autorités israéliennes leur auraient dit qu’ils pourraient retourner sur leurs terres ancestrales dans les 6 mois [2]. Il n’en fut rien :
- les Bédouins rassemblés dans le Siyag ne purent regagner leurs terres ;
- ils n’obtinrent aucun droit de propriété sur les terres du Siyag où ils avaient été déplacés ;
- les droits de propriété des Bédouins qui vivaient déjà dans le Siyag avant la création d’Israël ne furent pas reconnus [3].
3. Les Bédouins qui avaient fui Israël et qui y revinrent ensuite ont été installés à partir de 1969 dans 7 communautés urbaines créées par Israël et qui regroupent aujourd’hui 85 % de la population bédouine originaire du Neguev/Naqab, soit 105 000 personnes. Les communautés bédouines qui n’ont pas été déplacées et qui sont restées sur leurs terres historiques (95 000 personnes) vivent dans 35 villages non reconnus qui existaient avant la création d’Israël et dans 10 villages en voie de reconnaissance. La population de ces villages varie de 300 à 10 000 personnes [4].
Comme Israël ne reconnaît pas ces 35 villages en tant que communautés urbaines, Israël refuse de leur fournir les services publics de base accordés à toute concentration urbaine israélienne : l’eau courante, l’électricité, des routes, des écoles ; en outre, les Bédouins qui habitent ces villages et qui, juridiquement, sont des citoyens israéliens sont assimilés à des intrus ou à des squatters illégalement installés sur des terres domaniales de l’Etat hébreu. Ils y vivent sous la menace constante d’en être expulsés manu militari et de voir démolir leurs habitations ; en 2011, 1000 maisons bédouines de ces villages du Neguev/Naqab avaient ainsi été détruites au bulldozer [5].
4. Les participants à la randonnée organisée par SwB ayant vu le triste spectacle de ces maisons démolies, la question qui vient immédiatement à l’esprit du spectateur est de savoir si pareille situation est conforme au droit. Il va y être répondu au regard du droit international.
B. Le droit
5. Les Bédouins revendiquent un droit de propriété sur leurs terres. Le fondement juridique de ce droit, en droit international général est l’art. 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) qui dispose :
« 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. »
L’interdiction opposée par Israël aux Bédouins de se réinstaller sur leurs terres ancestrales et de reconnaître leurs droits individuels sur ces terres est un refus de reconnaître ces droits, donc une violation de leurs droits de propriété. En 1972, la justice israélienne saisie par les Bédouins de revendications foncières les avait rejetées car les titres de propriété des Bédouins n’avaient jamais été enregistrés avant 1948 et parce que ces terres n’avaient pas été cultivées, ce qui, selon le droit ottoman, eût permis de les considérer non comme de la « terre morte » [6], mais comme des terres détenues par des personnes à titre privé.
6. Ces arguments ont été répétés en 2010, lors d’un procès intenté contre Israël par 17 Bédouins de la famille al-Uqbi qui réclamaient 820 dunams de terres (+/- 8,2 ha) ; le 25 mars 2012, le tribunal de district de Beer Sheva – la juge Sarah Dovrat – a débouté les demandeurs pour des motifs sensiblement analogues à ceux exposés en 1972 :
- les titres allégués n’avaient pas été inscrits au Tabu, le cadastre ottoman [7] ;
- les Britanniques, qui succédèrent aux Ottomans lorsqu’ils reçurent le mandat sur la Palestine, auraient exigé que les terres détenues à titre privé fussent enregistrées en 1921 au plus tard, ce que ni la famille al-Uqbi ni la plupart des Bédouins ne firent ;
- à l’argument que les Bédouins jouissaient d’une autonomie juridique pour régler les questions foncières et que le droit bédouin n’exigeait pas ce type d’enregistrement, le tribunal répond que, si les Ottomans avaient voulu exempter une population de l’application de la loi, ils l’auraient dit explicitement [8].
7. Ces décisions sont consternantes car elles appliquent à la société bédouine les règles exogènes de systèmes fonciers propres à un tout autre système social. Or, c’est le droit de la société bédouine qui doit être considéré, non un droit importé sans rapport avec la réalité sociale bédouine. Une règle de base du droit transitoire ou intertemporel veut qu’un comportement soit évalué selon le droit en vigueur au moment de ce comportement. En 1975, l’Institut de droit international, dans la résolution adoptée à Wiesbaden, avait dit :
« 1. A défaut d’une indication en sens contraire, le domaine d’application dans le temps d’une norme de droit international public est déterminé conformément au principe général de droit, d’après lequel tout fait, tout acte et toute situation doivent être appréciés à la lumière des règles de droit qui en sont contemporaines. […] » [9]
In casu, il ne faut pas être un spécialiste patenté de l’ethnologie juridique bédouine pour comprendre que la notion de cadastre foncier devait être à ce point étrangère aux Bédouins que ceux-ci n’avaient jamais cru utile d’intégrer dans leur us et coutumes une règle propre à des cultures fondées sur des divisions territoriales de l’espace qui, pour être les plus précises possibles, exigeaient une forme d’enregistrement. Comme on l’a écrit à propos des usages dans le village arabe,
« Tant que les voisins s’entendent, les limites territoriales restent assez floues : une mare, un arbre, une butte … marquent le frontière de manière indicative. » [10]
Le système bédouin a toujours été très éloigné d’une pratique d’abornement et de cadastre telle que la justice israélienne l’envisage. Il est d’ailleurs vraisemblable que, pour assurer la paix intérieure, l’administration des espaces territoriaux dans l’empire ottoman, qui s’étendait sur trois continents (Europe, Asie, Afrique) avant sa dissolution en 1923, avait intégré les us et coutumes locaux en matière foncière. Il était donc assez logique, d’une part, que les Bédouins de Palestine ne se soient pas conformés aux règles d’enregistrement foncier en vigueur dans l’empire ottoman, d’autre part, que celui-ci ne l’ait jamais imposé.
C’est donc au regard du droit propre à la société bédouine que les questions foncières doivent être examinées, et c’est précisément ce que dit le droit international à propos des peuples autochtones.
8. L’appartenance des Bédouins à la catégorie des peuples autochtones découle de la définition portée par la Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, à savoir, les peuples qui
« descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles. » (art. 1, § 1, b)
Israël n’est pas partie à cette convention qui, en 2013, ne liait que 22 Etats, mais la définition du peuple indigène ou autochtone portée par la convention n’en correspond pas moins très exactement à la réalité du peuple bédouin.
9. Or, l’AGNU a adopté, le 13 septembre 2007, une Déclaration sur les droits des peuples autochtones par 143 voix contre 4 – Australie, Canada, États-Unis et Nouvelle-Zélande – avec 11 abstentions – Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya ; sans surprise, Israël était absent au moment du vote. Cette Déclaration dispose, notamment, en ses art. 10, 26 à 28 :
« Art. 10. Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. Aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable – donné librement et en connaissance de cause – des peuples autochtones concernés et un accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est possible, la faculté de retour.
[…]
Art. 26. 1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.
2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.
3. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés.
Art. 27. Les États mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qu’ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus.
Art. 28. 1. Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n’est pas possible, d’une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu’ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
2. Sauf si les peuples concernés en décident librement d’une autre façon, l’indemnisation se fait sous forme de terres, de territoires et de ressources équivalents par leur qualité, leur étendue et leur régime juridique, ou d’une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation appropriée. »
Ces dispositions énoncent quatre règles fondamentales :
- l’interdiction de priver les peuples autochtones de leurs terres ou territoires (art. 10) ;
- le droit des peuples autochtones de posséder et d’utiliser ces terres ou territoires (art. 26) ;
- le droit des peuples autochtones au respect de leurs régimes fonciers (art. 26, § 3 ; art. 27)
- le droit des peuples autochtones d’obtenir réparation (par restitution ou indemnisation) pour toute privation de leurs terres ou territoires (art. 10 et 28).
L’appartenance des terres et territoires aux peuples autochtones se détermine par leur possession ou leur occupation traditionnelles, une qualification qui n’apparaît pas moins de quatre fois dans les trois articles pertinents de la Déclaration (art. 26, §§ 1-2 ; art. 27 et art. 28, § 1). Il n’est donc nullement question d’une détermination de cette appartenance sur la base de critères imposés a posteriori par le groupe dominant (les autorités israéliennes) tels que l’inscription dans des registres dont la conception reste totalement étrangère aux usages traditionnels du peuple autochtone. En ne tenant aucun compte de ces règles, les décisions judiciaires israéliennes sont, donc, privées de tout fondement.
10. Outre le fait que les décisions judiciaires israéliennes sont infondées, Israël s’apprête à mettre en œuvre un plan visant à régler définitivement le problème bédouin : le plan Prawer-Begin adopté, le 24 juin 2013 par la Knesset (43 oui, 40 non) [11], prévoit l’expulsion et le déplacement forcé de 30 000 à 40 000 Bédouins des villages non reconnus [12]. Ce projet a été critiqué par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale établi par la Convention des NU du 7 mars 1966 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui lie Israël depuis le 3 janvier 1979. Dans son rapport annuel diffusé le 3 avril 2012 [13], le Comité écrit :
« 20. Le Comité est préoccupé par la situation actuelle des communautés bédouines, en particulier en ce qui concerne la politique de démolitions, notamment de maisons et d’autres structures, et les difficultés croissantes rencontrées par les membres de ces communautés pour accéder dans les mêmes conditions que les habitants juifs aux terres, au logement, à l’éducation, à l’emploi et à la santé publique.
Le Comité recommande à l’État partie de s’attaquer vraiment aux problèmes rencontrés par les communautés bédouines, en particulier en ce qui concerne la perte de leurs terres et l’accès à de nouvelles terres. Il lui recommande également d’intensifier ses efforts pour assurer l’égalité d’accès à l’éducation, au travail, au logement et à la santé publique dans tous les territoires placés sous le contrôle effectif de l’État partie. À cet égard, l’État partie devrait retirer son projet de loi discriminatoire de 2012 régissant les camps de Bédouins dans le Néguev, qui aurait pour effet de légaliser la politique actuelle de démolitions d’habitations et de déplacement forcé des communautés bédouines autochtones.
[…]
25. Le Comité est de plus en plus préoccupé par la politique d’urbanisme discriminatoire de l’État partie, en vertu de laquelle des permis de construire sont rarement, sinon jamais, délivrés aux membres des communautés palestinienne et bédouine, alors que les démolitions visent principalement des biens appartenant aux Palestiniens et aux Bédouins. Le Comité est préoccupé par la politique inverse tendant à réserver un traitement préférentiel à l’expansion des colonies israéliennes au moyen de l’utilisation de ‘terres du domaine public’ pour la colonisation, de la construction d’infrastructures telles que des routes et des systèmes d’approvisionnement en eau, la délivrance de nombreux permis d’urbanisme et l’instauration de Comités spéciaux d’urbanisme composés de colons pour gérer les processus consultatifs de prise de décisions. Le Comité est fortement préoccupé par la politique ‘d’équilibre démographique’ de l’État partie, énoncée dans les plans municipaux officiels d’urbanisme, en particulier dans la ville de Jérusalem (art. 2, 3 et 5 de la Convention).
À la lumière de ses précédentes observations finales (CERD/C/ISR/ CO/13, par. 35) et considérant que la politique d’urbanisme et d’aménagement en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, porte gravement atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux énoncés dans la Convention, le Comité engage l’État partie à réexaminer l’ensemble de sa politique de façon à garantir aux Palestiniens et aux Bédouins le droit à la propriété, l’accès à la terre, l’accès au logement ainsi que l’accès aux ressources naturelles (et principalement aux ressources en eau). Le Comité recommande également que toute politique d’urbanisme et d’aménagement soit mise en oeuvre en concertation avec les populations directement concernées par les mesures qui en découlent. Il demande instamment à l’État partie d’abandonner toute politique ‘d’équilibre démographique’ dans le cadre de son schéma d’ensemble pour Jérusalem et de sa politique d’urbanisme et d’aménagement dans le reste de la Cisjordanie.» [14]
Ce rapport du Comité constate, en termes diplomatiques, que le plan Prawer-Begin viole la Convention des NU des NU du 7 mars 1966 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui lie Israël depuis le 3 janvier 1979.
*
11. En résumé, il apparaît clairement que la politique israélienne à l’égard des communautés bédouines du Neguev/Naqab viole:
- la DUDH de 1948 et les droits traditionnels de propriété de ces Bédouins (art. 17) ;
- la Convention des NU du 7 mars 1966 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 2, 3, 5) ;
- la Déclaration de l’AGNU du 13 décembre 2007 sur les droits des peuples autochtones, en particulier, le droit des Bédouins au respect de leurs droits fonciers traditionnels et de l’occupation de leurs terres et territoires (art. 10, 26-28).
12. La politique d’Israël à l’égard des Bédouins n’est pas seulement une violation du droit international : elle est également constitutive d’infraction pénale en tant que crime d’apartheid et crime contre l’humanité.
13. En ce qui concerne le crime d’apartheid, la Convention des NU du 30 novembre 1973 incrimine
« des mesures, législatives ou autres, destinées à […] créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe […] en privant les membres d’un groupe racial […] des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment […] le droit de circuler librement et de choisir sa résidence […]
[…] en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial […] et en expropriant les biens-fonds appartenant à un groupe racial […] » (art. II, c-d).
La notion de groupe racial n’est pas définie dans la convention mais celle-ci renvoie aux pratiques discriminatoires visées par la Convention de 1966, laquelle dispose que
« l’expression ‘discrimination raciale’ vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales […] » (art. 1, § 1) (souligné par l’auteur)
Le texte montre que la discrimination raciale est définie de manière sociologique (discrimination fondée sur « l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ») et non biologique et peut s’appliquer au cas des Bédouins ainsi que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale l’a fait (supra § 10). Or, dans la mesure où la politique israélienne (notamment le plan Prawer-Begin)
- empêche les Bédouins de choisir leur résidence sur leurs terres ancestrales,
- conduit à l’accaparement de ces terres par Israël, et
- crée des lieux destinés aux Bédouins,
cette politique correspond aux faits qualifiés d’apartheid par l’art. II de la Convention de 1973 dont les extraits pertinents sont reproduits ci-dessus [15].
14. De tels faits sont aussi constitutifs de « crimes contre l’humanité » puisque aussi bien la Convention de 1973 sur le crime d’apartheid (art. 1er) que le Statut de la CPI (art. 7, § 1, j) qualifient l’apartheid de crime contre l’humanité.
15. Enfin, on peut se demander si les traitement réservé par Israël aux Bédouins n’est pas assimilable à une forme de sociocide, à savoir, la destruction des éléments constitutifs d’un groupe social caractérisé par une langue, une culture et un mode de vie propres à ce groupe et revendiqués par ce groupe dès lors que cette destruction est le fait intentionnel d’un Etat ou d’un autre groupe. Dans le cas des Bédouins du Neguev, leur attachement à des parties du Neguev où ils vivent depuis des siècles et où ils font paître chèvres et chameaux est un élément propre au groupe, élément dont la suppression pourrait justifier la qualification de sociocide même si celle-ci n’est pas encore un concept de droit positif ; les conclusions finales du Tribunal Russell, lors de sa session de Bruxelles, les 16-17 mars 2013 sont éloquentes :
« Un exemple particulièrement évident de sociocide à travers la destruction du tissu économique et social est le cas des Bédouins palestiniens vivant dans le Néguev israélien (Naqab en arabe). Depuis le 16e siècle, les Bédouins du Naqab se déplacent dans leurs terres avec leurs troupeaux de chèvres et de chameaux pour changer de pâturage en fonction des saisons. Pendant la guerre de 1948 entre Israël et ses voisins arabes, Israël a contraint les Bédouins à quitter ces terres traditionnelles et à s’installer dans une petite zone du nord du Naqab. Israël a promis qu’ils seraient autorisés à revenir sur leurs terres ancestrales six mois plus tard. La promesse n’a pas été tenue et, aujourd’hui, la moitié des Bédouins du Naqab vivent dans 46 villages «non reconnus», dont seulement 10 sont dans “le processus de reconnaissance” par Israël. En détruisant le mode de vie traditionnel des bédouins, Israël viole non seulement la Déclaration de 2007 de l’AGNU sur les droits des peuples autochtones (art. 25 et suiv.), mais commet aussi un sociocide. » [16]
* *
16. La conclusion est assez simple : l’émotion et le sentiment de révolte qu’éprouve le spectateur devant les maisons bédouines détruites par les bulldozers israéliens trouve une forme de consolation (symbolique) dans la constatation que le droit international condamne formellement tant ces destructions que le sort réservé par Israël à la communauté bédouine du Neguev/Naqab. Pour l’instant, cela ne change rien au sort de cette communauté mais il n’est pas exclu qu’un jour, les faits finissent par se conformer à la force des normes. L’Histoire jugera Israël sans complaisance ; en attendant, il faut continuer la lutte pour que le droit devienne réalité.
Eric DAVID, Professeur émérite de droit international,
Président du Centre de droit international,
Université libre de Bruxelles (ULB).
[1] The Arab Bedouin and the Prawer Plan, Adalah (Legal Center for Arab Minority Rights in Israel), n.d., www.adalah.org
[2] Ibid., p. 1 ; STEINERT, I., in www.ujfp.org/IMG/doc/Steinert-1.doc, consulté le 13 octobre 2013, p. 8.
[3] The Arab Bedouin and the Prawer Plan, op. cit., p. 1..
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] STEINERT, loc. cit., p. 5 ; aussi http://apjp.org/israel-court-rejects-6-bedouin/author/archplanjust consulté le 13 octobre 2013.
[7] http://apjp.org/israel-court-rejects-6-bedouin/author/archplanjust, loc. cit.
[8] Ibid.
[9] Pour d’autres exemples tirés de la pratique, voy SALMON, J. et DAVID, E., Droit international public, Pr. univ. Bxl., 25e éd. 2013, § 4.6.19.
[10] In Systèmes fonciers à la ville et au village, Paris, L’Harmattan, 1986, p. 272.
[11] http://www.pourlapalestine.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1574:la-knesset-approuve-le-tres-accablant-plan-prawer-begin&catid=1:latest-news
[12] http://www.eccpalestine.org/discriminatory-prawer-plan-to-evict-tens-of-thousands-of-bedouins-from-their-communities-in-the-negev/
[13] Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/14-16, 10 p..
[14] Ibid., pp. 5 et 7.
[15] En 2011, lors de sa 3e session sur la Palestine, le Tribunal Russell avait fait le même constat à propos des pratiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien, http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/wp-content/uploads/2011/09/RToP-Cape-Town-full-findings2.pdf
[16] http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/full-findings-of-the-final-session-fr ; pour la version imprimée des conclusions finales, voy. Russell Tribunal on Palestine, 2007-2013, p. 51 (texte anglais, pp. 20-21 ; texte espagnol, p. 83).