Alors qu’il passe l’hiver sur une île située au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre aux fins de s’entretenir avec son nègre fraîchement recruté pour rédiger ses mémoires, Adam Lang (Pierce Brosnan), l’ancien premier ministre britannique, se retrouve au coeur d’une tempête médiatique et judiciaire. La presse fait soudainement état d’une autorisation qu’il aurait accordée, lorsqu’il était en fonction, d’arrêter sur le territoire pakistanais quatre ressortissants britanniques suspectés d’appartenir à un réseau terroriste. Ils auraient ensuite été remis aux mains d’agents de la CIA et soumis à leurs interrogatoires musclés. Il n’en faut pas davantage pour que l’opinion publique se mobilise et réclame que l’ancien premier ministre réponde de ses actes devant la justice. C’est dans ce contexte tumultueux que la procureure de la Cour pénale internationale annonce alors publiquement qu’elle s’apprête à demander l’autorisation d’ouvrir une enquête au sujet d’Adam Lang pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Avec une telle intrigue, The Ghostwriter ne pouvait que susciter l’intérêt d’une juriste curieuse de ce que le cinéma raconte à propos du droit international. A l’analyse, le film s’avère particulièrement enrichissant et ce, pour trois raisons au moins.
Le Statut de Rome au détour d’un thriller politique
The Ghostwriter est tout d’abord un film exceptionnel parce qu’il évoque une disposition précise d’un traité international, un fait suffisamment rare au cinéma pour être souligné. Quel internationaliste aurait imaginé un seul instant qu’un soir, confortablement installé au fond d’une salle obscure, l’article 25 § 3. c. lui soit lu à l’écran ? Adam Lang invite ses avocats à le rejoindre dans sa villa afin d’évaluer les risques qu’il encourt d’être réellement inquiété par la justice et les options qu’il lui reste. C’est alors que se noue une discussion à propos du Statut de Rome qu’on commentera dans un premier temps d’un point de vue strictement juridique.
Connie fait bien de citer l’article 25 § 3 c qui permet d’engager la responsabilité de toute personne qui « apporte son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission » du crime en question. Cet article est rédigé dans des termes particulièrement larges comme Adam Lang le remarque judicieusement (« that’s rather sweeping »), si bien que toute forme de complicité peut aisément s’y trouver visée. En somme, ce paragraphe fonctionne au sein du Statut à la façon d’une clause par défaut susceptible d’englober ce qui n’a pu l’être par ailleurs, comme l’écrit Dimcho Dimov dans le Code of International Criminal Law and Procedure Annotated (Larcier, 2013, p. 150). Sur ce point, l’invocation de l’article 25 dans le film ne soulève pas de question particulière. On peut s’interroger par contre sur ce dont Adam Lang s’est rendu complice exactement et sur ce qui justifie que la Cour pénale internationale s’intéresse à lui. Contrairement à ce qu’affirme la procureure de la Cour dans l’extrait, les faits qui lui sont reprochés paraissent difficilement qualifiables en soi de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. En vertu de l’article 7 du Statut de Rome, les crimes contre l’humanité présentent ceci de particulier qu’ils doivent être commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». Or, rien dans le film ne suggère qu’une attaque de ce type ait été menée. Par ailleurs, les crimes de guerre se commettent par définition lors d’un conflit armé interne ou international auquel le film ne fait nullement référence. Peut-être le film évoque-t-il d’une certaine manière la « guerre contre le terrorisme », un terme que l’Administration des Etats-Unis a utilisé pour viser les opérations militaires déclenchées suite aux attentats du 11 septembre 2001. Cette évocation paraît cependant trop générale pour qu’on soit convaincu de l’existence d’un conflit armé qui justifierait que les actes reprochés à Adam Lang soient qualifiés de « crimes de guerre ». Enfin, on sait que la Cour pénale internationale n’est compétente pour connaître de ces crimes qu’à la condition qu’ils rencontrent un certain seuil de gravité, comme le souligne le préambule ainsi que les articles 1er et 17 du Statut de Rome. Il est douteux que le sort de quatre personnes pris isolément puisse constituer une affaire suffisamment grave pour que la Cour pénale internationale s’en saisisse. Loin de considérer que la saisine de la Cour est inadéquate, les avocats d’Adam Lang prennent l’affaire très au sérieux, adoptant à l’égard des compétences de la Cour pénale internationale, une interprétation pour le moins extensive. Pour terminer au sujet de l’extrait de film, on peut aussi souligner que le soutien dont la Cour peut se targuer y semble également surestimé. D’une part, la liste des pays dans lesquels Adam Lang peut se rendre sans crainte d’y être arrêté ne se limite nullement à « l’Irak, la Chine, la Corée du Nord, l’Indonésie, Israël et certaines parties de l’Afrique ». Au 16 septembre 2014, les Etats qui n’ont ni signé ni ratifié le Statut de Rome et qui ne sont dès lors tenus par aucune obligation de coopérer avec la Cour avoisine la soixantaine. Parmi ces Etats, on compte notamment l’Inde, le Liban, le Nicaragua, le Pakistan, le Qatar, le Rwanda, l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Vietnam, des Etats plus nombreux et plus influents que l’extrait ne le suggère. D’autre part, si les avocats d’Adam Lang sont bien inspirés de conseiller à leur client de ne se rendre dans aucun des Etats qui reconnaissent l’autorité de la Cour, il faut bien dire que la coopération formellement exigée par le Statut est loin d’avoir toujours été fonctionnelle. On se souviendra que plusieurs Etats parties avaient refusé, alors qu’ils en avaient l’occasion, de procéder à l’arrestation et à la remise d’Omar Al Bashir alors que la Cour avait pourtant émis un mandat d’arrêt international à son sujet. Ces incidents ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs décisions par lesquelles la Cour a rappelé au Tchad, à Djibouti, au Malawi et à la République démocratique du Congo leurs obligations internationales.
Un regard complexe et ambigu sur la justice pénale internationale
Au-delà de l’invocation expresse du droit international et des questions techniques que cette invocation soulève, The Ghostwriter est digne d’intérêt pour le regard complexe et ambigu que le film pose sur la justice, un regard dont l’intensité s’explique sans doute – en partie du moins – par le fait que Roman Polanski est aussi l’objet de poursuites judiciaires au moment où il réalise le film. D’un côté, la justice pénale internationale apparaît dans son film comme une entreprise dont les compétences et l’autorité sont largement supérieures à celles dont elle jouit dans la réalité comme on l’a noté précédemment, prêtant à cette entreprise judiciaire une effectivité qui participe à son idéalisation. D’un autre côté, la justice semble faire preuve à l’égard de l’ancien Premier ministre d’un certain acharnement dont on ne comprend pas les raisons. Sans que le film ne délivre de réponses à ce sujet, la spectatrice se demande si cette justice pénale internationale, loin de fonctionner de manière rationnelle et impartiale, ne cède pas à la pression de l’opinion publique prompte à condamner un homme pour des faits dont on n’ignore s’il en est vraiment responsable ou si cette justice œuvre pour de sombres motifs politiques. Cette image d’une justice qui tourmente inlassablement ne ressort pas vraiment de l’ouvrage du journaliste Robert Harris, L’Homme de l’ombre (éditions Plon, 2007), duquel est tiré le scénario du film. Ce portrait semble plutôt dressé par Roman Polanski lui-même, sans doute informé par sa propre expérience de la justice concernant la relation sexuelle qu’il a eue en 1977 avec une jeune fille de 13 ans. Roman Polanski et sa défense ont régulièrement clamé dans cette affaire que le procureur y faisait preuve d’acharnement. Cette image ressort également des propos de sa victime lorsqu’elle raconte cette histoire dans La Fille – Ma vie dans l’ombre de Roman Polanski (éditions Plon, 2013). Une justice oppressante qui force l’accusé à vivre reclus, telle est la représentation qui est proposée par le film de Roman Polanski. Une image critique de la justice en somme qui ne risque pas de changer radicalement dans le prochain film du réalisateur dont on apprenait récemment qu’il entend mettre en scène l’affaire Dreyfus, une affaire où la justice avait accusé à tort…
Quand la fiction dépasse la réalité… ou le contraire ?
Il nous reste à souligner que l’écriture du scénario s’est fondé sur un livre qui se situe « quelque part entre la fiction et la réalité » des termes de son propre auteur (The Guardian, 3 juin 2014). L’auteur raconte qu’il a notamment été inspiré un matin par l’annonce à la radio de possibles poursuites judiciaires à l’encontre de Tony Blair pour avoir autorisé le transfert de prisonniers détenus par les soldats du Royaume-Uni déployés en Irak vers les établissements de détention situés à Guantanamo Bay et au sein desquels lesdits prisonniers auraient été soumis à des actes de torture. On se rappellera que le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale avait été saisi, suite à l’occupation de l’Irak au début des années 2000, de plusieurs communications émanant de diverses organisations non gouvernementales faisant état de comportements constitutifs de crimes relevant de la compétence de la Cour. Pour nombre d’entre eux, le procureur a estimé que les informations mises à sa disposition n’étaient pas suffisantes pour estimer qu’il existait une base raisonnable de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis. En ce qui concerne toutefois les allégations concernant l’homicide intentionnel et le traitement inhumain de personnes civiles, son jugement était différent puisqu’il a précisé que « les renseignements disponibles à cette époque appuyaient une base raisonnable en ce qui concerne 4 à 12 victimes estimées d’homicides intentionnels et un petit nombre de victimes de traitements inhumains, à savoir, moins de 20 personnes au total » (Communiqué, Discours de Luis Moreno Ocampo, 9 février 2006, p. 7, disponible sur le site internet de la Cour). Rappelant toutefois que la Cour n’est compétente que pour les affaires les plus graves et que cette gravité est notamment appréciée au regard du nombre des victimes, le Procureur a décidé qu’il ne solliciterait pas d’autorisation pour ouvrir une enquête au sujet de la situation en Irak. Le 10 janvier dernier, les organisations European Center for Constitutional and Human Rights et Public Interest Lawyers versaient des informations supplémentaires au dossier montrant que le nombre de victimes était supérieur à celui qui avait été évoqué auparavant. Après avoir examiné ces informations, l’actuelle procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, a annoncé le 13 mai dernier qu’un nouvel examen préliminaire de la situation en Irak sera entamé au sujet des mauvais traitements infligés de façon systématique à des détenus en Irak de 2003 à 2008 par des ressortissants d’Etats parties au Statut de Rome (Communiqué, 13 mai 2014, disponible sur le site internet de la Cour). La fiction en voie de devenir réalité ? Peut-être le film de Roman Polanski mérite-t-il de passer de la rubrique du thriller politique à celle du film d’anticipation décrivant un monde dans lequel il est possible qu’un ancien Premier ministre britannique soit inquiété par la justice pénale internationale.
Anne Lagerwall
Chargée de cours à la faculté de droit de l’Université Libre de Bruxelles