1492 : La Conquête du Paradis, est un film européen réalisé par Ridley Scott et écrit par Roselyne Bosch, sorti en 1992 pour célébrer le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique par le navigateur Christophe Colomb. Les acteurs principaux sont Gérard Depardieu, dans le rôle de Christophe Colomb, et Sigourney Weaver, dans celui de la reine Isabelle, tous deux secondés par Armand Assante et Fernando Rey. La première partie du film nous montre les efforts que déploie Colomb pour convaincre les souverains espagnols – qui étaient en train d’achever la Reconquista de la péninsule Ibérique dont une partie était encore aux mains des musulmans – de valider et de financer un projet dont le but était d’ouvrir une nouvelle route maritime en direction des Indes, en naviguant vers l’ouest. Après quelques tentatives infructueuses, Colomb, qui parvient à gagner la confiance de la Reine, arrive à la convaincre et peut, enfin, réaliser son rêve. La deuxième partie du film présente au spectateur les énormes difficultés de la traversée, le découragement des marins, la foi et l’entêtement de Colomb et, enfin, le spectacle de la terre ferme, après plusieurs semaines de navigation, et l’arrivée sur une île du nouveau Monde. Le moment du film où Colomb met le pied sur la plage de l’île inconnue et découvre ce paradis d’une beauté incomparable est particulièrement émouvant. La musique épique de Vangelis accompagne ces images pour donner la mesure d’un événement historique.Au-delà du scénario et de l’attrait de ce film d’aventures à grand spectacle, apparaît toute l’ambivalence du droit international moderne, à la fois vecteur de valeurs universelles et instrument du pouvoir.
Le droit international comme vecteur de valeurs universelles
Quelques minutes après l’arrivée dans le nouveau monde, le spectateur est témoin d’une autre scène forte, le premier contact entre les Espagnols et les Indiens, seuls habitants jusque là de ce paradis sur terre. Colomb et ses hommes s’enfoncent dans la jungle de cette île inconnue et remontent prudemment le cours d’une petite rivière jusqu’à l’apparition soudaine des Indiens. Tout échange verbal étant impossible, seul le langage du corps, les gestes et la sociabilité naturelle de l’homme permettent la communication entre ces deux groupes de la même race humaine. La sagesse de Colomb qui, face à l’inconnu, ne se laisse pas emporter par la violence, s’impose à ses compagnons qui, quant à eux, souhaitaient se servir de leurs armes pour dominer les Indiens.
Comme on le voit, après que la fraternisation l’ait emporté sur la violence, la voix de Christophe Colomb se détache en voix off.
« Je crois que nous avons retrouvé le Jardin d’Eden. Assurément, le monde était ainsi à l’aube des temps. S’il nous faut convertir l’indigène à nos usages, ce sera par la persuasion… et non par la force […]. Nous sommes hommes de paix et d’honneur. Ce ne sont pas des sauvages, nous n’en serons pas non plus. Traitez-les comme vos femmes et vos enfants. Respectez leur croyance. Le pillage sera puni par le fouet, le viol par l’épée ».
Colomb se savait le représentant, sur ces terres nouvelles, des Rois Catholiques et, en vertu de cette autorité, il promulgue les premières règles juridiques des Européens dans cette partie du monde. C’est ici le visage positif du droit, lorsqu’il défend la justice et le bien commun des hommes. Bien entendu, ce volet est étroitement lié au désir d’évangélisation de la reine Isabelle, ce que démontre le codicille qu’elle a ajouté à son testament le 23 novembre 1504, trois jours avant sa mort, à Medina del Campo. Dans ce texte, elle fait part de son inquiétude quant à la politique espagnole en Amérique, elle pose les bases des Lois des Indes (législation décrétée par la Couronne gouvernant les possessions espagnoles en Amérique et aux Philippines), et affirme que sa principale intention, dans l’épopée d’Outre-mer, était de gagner les Indiens à la foi catholique.
Quoi qu’il en soit, du point de vue du droit international, cette scène du premier contact est sans doute le moment le plus remarquable du film. L’apparition des terres et des êtres inconnus pose aux Européens le problème de la réglementation des relations entre ces deux Mondes, ce qui donnera lieu en même temps à la naissance d’un corpus de normes nouvelles établies par les souverains, d’abord espagnols puis d’autres puissances européennes, mais aussi à celle d’une nouvelle science juridique, grâce à la pensée des théologiens espagnols des universités castillanes. C’est ainsi que le dialogue sans fin entre le droit, le pouvoir et la justice, qui sous-tend la vie sociale de l’homme, a trouvé une voie nouvelle par laquelle il peut se poursuivre.
Le droit comme instrument du pouvoir
Un peu plus tard dans le film, on assiste à une autre scène significative, qui révélera cette fois la face sombre du droit international. Lors d’une conversation en apparence anodine, Colomb remarque deux petites figures en or qu’un Indien porte à son cou. Il lui demande alors où il a trouvé ce métal si précieux. Cette scène ouvre le passage du film où les Espagnols convoitent l’or, synonyme de rêve et de cauchemar, des siècles durant, pour l’histoire du continent américain. Sera ici illustré le visage négatif du droit, lequel se réduit à un instrument de défense des intérêts du pouvoir. Dans cette perspective, une des scènes fortes du film montre comment l’un des chefs des Espagnols, don Adrian Moxica, tranche la main d’un Indien qu’il accuse d’avoir volé un peu d’or, et ce malgré l’opposition des fonctionnaires royaux puis de Colomb lui-même.
C’est le visage le plus négatif du droit, les règles juridiques au service de la convoitise des richesses. Comme on l’a vu, Colomb tente de rétablir l’équilibre en faisant juger ce haut représentant de la noblesse espagnole. Mais la scène, loin d’incarner la juste répression d’un crime inexcusable, suscite le malaise. D’abord, Christophe Colomb condamne le geste non pas au nom de valeurs morales ou de règles juridiques, mais pour des raisons d’opportunité : « par votre bestialité, vous avez créé le chaos. Toutes les tribus vont maintenant s’allier contre nous ». Ensuite, don Adrian Moxica réplique en soulignant l’échec de la mission menée par Colomb : « Voilà maintenant quatre ans que nous sommes ici … pour avoir cru à vos promesses. Mais nous n’avons trouvé ni or… ni votre … paradis terrestre. Vous et vos frères, vous avez échoué, Signore Colombo ». Au-delà de la personnalité de Christophe Colomb, est soulignée ici la dimension prédatrice de la conquête, destinée à assurer richesses et puissance à l’Espagne. Dans cette perspective, les règles nouvelles applicables aux Indiens doivent être subordonnées à la réalisation d’objectifs vénaux et matériels, et non au respect de valeurs abstraites de justice ou de paix. On sent là toute la tension qui caractérise le droit international de la colonisation, une tension que l’on retrouvera ensuite auprès de grands auteurs, généralement considérés comme aux origines du droit international moderne.
De Colomb à de Vitoria et Las Casas : les origines du droit international moderne
Comme on vient de le voir, Colomb recherchait la justice et s’opposait parfois au mauvais comportement de certains membres de la noblesse espagnole qui l’avaient accompagné outre-mer. Ces prises de position, en plus des convoitises que ses découvertes avaient suscitées en Espagne, ont abouti à son écartement et, pour finir, son isolement. Colomb, qui, avant son premier départ, avait été nommé amiral, vice-roi des Indes et gouverneur général des territoires qu’il découvrirait, perdrait ainsi ses privilèges. Par la suite, d’autres expéditions ont réussi à atteindre le continent que Colomb n’a jamais pu voir. Comme chacun le sait, finalement, ce continent a porté le nom d’un autre navigateur italien, Amerigo Vespucci. Colomb achève ses jours presque seul, attristé et dépité par les limites de son entreprise, tout en étant satisfait d’avoir ouvert une nouvelle voie de navigation vers l’ouest et avoir découvert un nouveau monde.
Au-delà de ce parcours personnel, les questions juridiques et morales posées par la découverte et la conquête de l’Amérique ont mené les penseurs scolastiques espagnols à la réflexion. C’est le cas de Francisco de Vitoria (Burgos ou Vitoria, 1483-1486 – Salamanque 1546), moine dominicain, professeur de théologie à l’université de Salamanque. Vitoria a laissé à la postérité ses réflexions sur ce point particulier dans De Indis, recueil transcrit par ses disciples. Vitoria y critique les excès commis par les conquistadors espagnols en Amérique, et s’interroge sur le titre juridique qu’avait la couronne espagnole de s’emparer du territoire des Indiens, dès lors que, pour lui, les Indiens n’étaient pas des êtres inférieurs. Ayant les mêmes droits que le reste des êtres humains, ils étaient donc les propriétaires légitimes de leurs terres et de leurs biens. En plus de ses réflexions sur les Indiens, Vitoria est considéré comme l’un des fondateurs du droit international moderne, avec Hugo Grotius, parce que, dans De potestate civili, il a avancé l’idée d’une communauté des peuples fondée sur le droit naturel. Avec Bartolomé de las Casas, Vitoria a influencé l’empereur Charles Quint lors de l’adoption des Nouvelles Lois sur les Indes, de 1542, qui plaçaient les Indiens sous la protection de la Couronne et impliquaient de grandes améliorations de la situation des Indiens sur le terrain, en Amérique. Ces lois interdisaient aux colonisateurs de réduire les Indiens en esclavage et considéraient les Indiens comme des fidèles auxquelles l’Église ouvrait ses portes.
Bartolomé de las Casas (Séville 1484 – Madrid, 1566), également dominicain, nommé évêque de Chiapas, s’est beaucoup impliqué dans le combat pour la protection des Indiens, ce qui lui a valu d’être considéré comme l’un des précurseurs des droits humains. Très célèbre est aussi la part qu’il prit à la Controverse de Valladolid, qui l’opposa à Sepulveda, au sujet de la légitimité des guerres de conquête. À l’instar de Colomb, Francisco de Vitoria et Bartolomé de las Casas ont dû poursuivre cette haute lutte menée par les hommes pour que le droit serve la cause de la justice et non celle du pouvoir, cette dernière ayant, tout au long de l’histoire, toujours trouvé beaucoup de serviteurs zélés.
Carlos Espaliú Berdud
Universitat Internacional de Catalunya