Torture et prisons secrètes : Zero Dark Thirty, l’insoutenable figuration du réel ? – Une analyse de Pauline Blistène

20365978Le 2 mai 2011, le monde apprend stupéfait la mort d’Oussama Ben Laden éliminé lors d’une opération ultra secrète des forces spéciales américaines, les célèbres Navy Seals, dans la ville d’Abbottābād au nord-est du Pakistan. Plus symbolique que stratégique, sa mort met fin à une décennie de recherche pour localiser l’homme derrière les attaques du 11 septembre 2001.

Un an et demi plus tard, le public découvre dans les salles obscures les « dessous » de cette chasse à l’homme dans un film au titre évocateur : Zero Dark Thirty, pour minuit et demi en jargon militaire, l’heure de lancement de l’opération des forces spéciales. Réalisé par Kathryn Bigelow et écrit par Mark Boal, le film retrace les dix années d’opérations clandestines et de guerre secrète menée par la CIA pour retrouver Oussama Ben Laden en se concentrant sur un personnage clé : Maya, sorte de moine-combattant qui, contre sa hiérarchie, ne renonce jamais à retrouver la trace de l’homme responsable des attaques de 2001. Outre l’avertissement dès la première image précisant que le film est « basé sur des informations de première main concernant des événements réels », la réalisatrice fait usage de procédés formels divers (archives sonores et visuelles) qui visent à renforcer l’apparente authenticité du film, comme un rappel récurrent dans la fiction, de la guerre à la Terreur (War on Terror) « réelle ».

De grandes controverses entourent sa sortie. La première : la collaboration avérée entre l’équipe du film (le scénariste Mark Boal et la réalisatrice Kathryn Bigelow), la CIA et le Pentagone. En mai 2012, soit quelques mois avant sa sortie en salles, l’organisation non-gouvernementale Judicial Watch parvient à faire déclassifier de nombreux documents dans le cadre d’une procédure intentée sous le Freedom of Information Act (FOIA) de 1966 concernant les liens entre les institutions du pouvoir américain et l’équipe du film. Retranscriptions d’emails ou de réunions entre Mark Boal, Kathryn Bigelow et plusieurs hauts responsables de la CIA et du Pentagone, échanges d’emails en interne… Autant de preuves témoignant de la volonté exceptionnelle de l’agence de renseignement, du Département de la Défense mais aussi de l’exécutif américain de contribuer à l’écriture et à l’aboutissement d’un projet jugé très prometteur par l’accès à des informations particulièrement sensibles. Ces révélations font de Zero Dark Thirty un exemple supplémentaire de la connivence entre Hollywood et politique de défense et de sécurité aux Etats-Unis. Mais elles serviront aussi d’argument marketing pour la promotion du film, présenté comme « un travail d’enquête wholesale replica rolex day date m128238 0072 mens rolex calibre 2836 12mmchristian louboutin cl high heeled shoes for women 542363 journalistique dans le monde du secret », « le film le plus authentique sur la traque de Ben Laden »…

La deuxième grande controverse, vient de la manière dont la torture y est représentée[1]. En bref, si la CIA a accepté de collaborer, c’est parce qu’elle souhaite raconter l’histoire telle qu’elle entend que le public l’envisage : Langley serait parvenue à remonter la piste de Ben Laden grâce à l’efficacité des Techniques d’interrogatoire renforcées (pour Enhanced Interrogation Techniques), autorisées par l’administration Bush après les attentats du 11 septembre. Prenons un instant pour en reconstituer la genèse.

Au lendemain des attaques, le président américain positionne la CIA en première ligne de la guerre à la Terreur (War on Terror) et donne toute autorité à ses agents pour capturer, incarcérer et tuer les membres du réseau Al-Qaida dans le monde. En novembre 2001, la catégorie juridique d’ennemi combattant illégal (illegal enemy combattant) est créée pour les prisonniers capturés dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Puis, en Février 2002, George W. Bush lève l’interdiction sur l’article 3, commun aux quatre Conventions de Genève, qui interdit les « mutilations, traitements cruels et torture » en cas de conflits armés : cette disposition ne s’applique pas aux membres d’Al-Qaida, ni même aux Talibans, au motif que l’Afghanistan est un « Etat failli » (failed state). L’administration Bush s’affranchit définitivement de la Convention des Nations Unies contre la torture[2] en août 2002, avec la rédaction des mémorandums du bureau d’assistance juridique (Office for Legal Counsel – OLC) du Département de la Justice. Dans le premier mémo rédigé par John Yoo, avocat membre de l’OLC et conseiller du procureur général John Ashcroft et signé par Jay S. Bybee alors à la tête de l’OLC, la torture est définie de manière très restreinte. Selon eux, les actions qui obéissent « de bonne foi à l’objectif de recherche de renseignement et qui n’entraînent pas de défaillance organique » ne peuvent être considérées comme de la torture. Ce faisant, l’administration Bush réaffirme rétrospectivement la légalité des techniques déjà employées par la CIA sur le saoudien Abou Zubaydah capturé en mars 2002 au Pakistan (simulation de noyade, privation de sommeil etc.) et allègue la conformité du programme avec les différents engagements internationaux des Etats-Unis.

Dès les premières images, Zero Dark Thirty insiste sur la dimension structurante de la torture dans la traque de Ben Laden.

Le film commence avec la disparition visuelle du 11 septembre. L’écran est noir, l’événement est signifié par des archives sonores : des appels téléphoniques passés le matin des attentats depuis les tours du World Trade Center en flammes. « I’m gonna die, It’s so hot, I’m burning up », dit une femme paniquée à une opératrice d’un centre d’appels (probablement 911) qui lui enjoint de rester calme. L’absence d’image crée l’omniprésence, l’immontrable crée le monstrueux. Cette séquence est immédiatement suivie d’une indication temporelle : « deux ans plus tard ». Nous sommes en 2003, au plus fort du programme de torture. Le spectateur est tout de suite confronté à l’insoutenable violence des interrogatoires conduits par Dan, un agent de la CIA dans une prison secrète (black site). On ne sait rien d’Ammar, le « suspect » au visage tuméfié, très vite soumis au supplice de la simulation de noyade.

L’enchaînement des séquences suggère un lien de causalité quasi immédiat entre les attaques du 11 septembre et le programme de torture. Autrement dit, Zero Dark Thirty sous-entend que si les Etats-Unis font ce qu’ils font, c’est parce qu’ils y ont été contraints en raison de la monstruosité de l’attaque dont ils ont été victimes. A l’invisibilité du 11 septembre répond l’extrême visibilité – à la limite du voyeurisme – des pratiques de torture qui paraissent presque normalisées.

En outre, cette séquence, qui insiste sur la potentialité d’une attaque à venir préparée par un certain Al-Kashmiri, renvoie aux registres de justification du programme de torture utilisée par l’administration Bush : celui de la nécessité, de l’imminence et de la légitime défense. La nécessité, tout d’abord, renvoie à la particularité de la guerre à la Terreur, moment d’activation de la raison d’Etat[3], entraînant une subversion du droit[4] et une dégénérescence morale du gouvernement américain au nom d’un principe jugé supérieur : la préservation de l’ordre démocratique. L’imminence, ensuite, implique l’urgence absolue et suggère la proximité d’une attaque à venir. Après le 11 septembre, le scénario de la bombe à retardement (ticking-time bomb) est largement utilisé par les partisans du programme d’interrogatoire et de détention secrète. Cette expérience de pensée[5] postule qu’en torturant une personne vous pouvez obtenir des informations concernant une catastrophe imminente, et donc sauver un plus grand nombre de personnes. Dans la logique du conséquentialisme utilitariste, ce dilemme éprouve les limites de l’interdit posé sur la torture dans les démocraties libérales et rend ainsi acceptables des méthodes illégales et condamnables en les présentant comme l’exception et non la règle. La légitime défense, enfin, constitue la base juridique de la lutte contre le terrorisme reconnu comme menace pour la paix et à la sécurité mondiale dans plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies (comme par exemple n°1373). En outre, la formulation ambivalente de l’article 51 (Chapitre VII) de la Charte des Nations Unies, qui reconnaît un droit naturel aux Etats souverains à se défendre dans le cas « d’une agression armée », rend compatible l’idée d’une guerre préventive avec les principes de la guerre juste. Car « (…) la formule jusnaturaliste de l’article 51 confirme que les Etats doivent principalement compter sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité »[6].

Dans Zero Dark Thirty, ce sentiment d’urgence absolue est réaffirmé par les attaques terroristes successives figurées à l’écran : Khobar en 2004, Londres en 2005, Islamabad en 2008… La première partie du film invite ainsi le spectateur à éprouver les logiques politiques qui président à la mise en place du programme (voire peut-être même à les intégrer). Mais l’échec de la CIA, qui ne parvient ni à stopper les attaques terroristes, ni à localiser Ben Laden, suggère, soit l’inefficacité des interrogatoires, soit la défaillance des informations obtenues dans ce cadre.

Il faut attendre une scène étonnante, qui tranche avec l’abomination des sévices dont le spectateur vient d’être témoin – et rendu quelque part complice – pour que Zero Dark Thirty amorce progressivement une réhabilitation visuelle du programme de torture.

Cette séquence est déterminante à plus d’un titre. Elle peut être comprise simultanément comme un aveu d’échec du programme de torture et le début de sa réhabilitation. La totalité du répertoire des mesures autorisées (simulation de noyade, confinement, humiliation, nudité, privation de sommeil etc.) n’a visiblement eu aucun effet sur Ammar, qui n’a pas révélé d’informations permettant d’éviter la concrétisation de l’attaque de Khobar (2004) représentée dans la séquence précédente. Maya décide alors de bluffer en misant sur l’isolement du prisonnier. Elle lui fait croire à l’efficacité du programme et met en scène une récompense qu’Ammar aurait méritée après avoir prétendument révélé des noms permettant à la CIA d’empêcher l’attaque qui vient pourtant de se produire.

Ensuite, c’est la première fois que le nom du prétendu courrier de Ben Laden, Abu Ahmed Al-Kuwaiti, est mentionné lors d’un interrogatoire. La simplicité avec laquelle Ammar se livre tranche avec la violence des scènes précédentes. Renoncement, peur, corruption : les véritables motivations qui poussent Ammar à se confier ne sont pas explicitées. Cette scène amorce néanmoins la réhabilitation progressive du programme de torture : elle permet à Maya d’obtenir l’information décisive, celle qui guidera sa quête pendant de nombreuses années jusqu’à Ben Laden.

Dans cette scène, tous les prisonniers corroborent l’idée qu’Abu Ahmed est une personnalité clé du réseau Al-Qaida. La multiplication d’écrans et l’amoncellement de cassettes suggèrent l’étendue du dispositif mis en place par les Etats-Unis et ses partenaires. A l’exception des séquences avec Ammar, dont on sait qu’il est détenu dans un « black site » de la CIA, ces vidéos sont les premières représentations dans le film du corrélat des techniques d’interrogatoires renforcées : le programme de « transferts spéciaux » de prisonniers (aussi connu sous le nom d’Extraordinary Rendition) et l’établissement de prisons secrètes dans les pays partenaires de la CIA.

Pratiqués de manière discrète sous Reagan et Clinton, ces transferts de prisonniers sont intensifiés par l’administration Bush dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au lendemain du 11 septembre. Il s’agit essentiellement de soustraire un prisonnier au processus légal d’extradition, pour le transférer, le détenir et l’interroger dans une prison secrète (black site), situé hors du territoire américain. En vérité, la plupart des interrogatoires pratiqués par la CIA dont il a été question plus haut se sont déroulés dans ce cadre. Car la délocalisation, voire l’externalisation des pratiques de torture vers des pays « partenaires » sont, pour les Etats-Unis, un moyen supplémentaire de s’affranchir de toute responsabilité juridique internationale, tout en maintenant que la torture est interdite sur leur territoire dans le plus strict respect de la Convention des Nations Unies. Les programmes de transfert de prisonniers et des prisons secrètes de la CIA sont révélés au public en 2005 par la journaliste du Washington Post Dana Priest. Un an plus tard, George W. Bush reconnaît publiquement le programme de transferts spéciaux ainsi que les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans un discours resté célèbre[7]. Le Président y défend l’efficacité du programme qui aurait permis l’arrestation en 2003 de Khalid Sheikh Mohammed, numéro trois d’Al-Qaida et cerveau auto-proclamé des attaques du 11 septembre. Le nombre exact de prisonniers-fantômes de la CIA est impossible à connaître: l’agence n’a jamais tenu de décompte précis du nombre d’individus détenus hors du système légal. Mais selon le rapport du Sénat publié en 2014, le programme de détention secrète concernerait au moins 119 individus, dont 39 auraient été soumis aux techniques d’interrogatoire renforcées.

Comme évoqué précédemment, les transferts extra-légaux de prisonniers et leur détention dans des prisons secrètes sont corrélatifs au programme d’interrogatoire de la CIA. A ce titre, le programme d’Extraordinary Rendition compose la toile de fond de Zero Dark Thirty. La localisation des prisons secrètes, que le spectateur découvre tout au long du film, n’est jamais précisée. A l’exception d’un site à Gdansk, en Pologne, où Maya se rend seule pour interroger un prisonnier.

Cette séquence n’est pas capitale sur le plan narratif. Elle ne fait que confirmer ce que le spectateur a déjà déduit des images précédentes : l’importance d’Abu Ahmed dans le réseau Al-Qaida du fait de sa proximité avec le « cheikh » et la détermination de Maya à retrouver la trace d’Oussama Ben Laden en suivant cette piste. Elle est cependant essentielle sur le plan symbolique : il s’agit d’une des rares mise en images de la complicité des Etats européens avec le programme de détention secrète et d’interrogatoire de la CIA. Dans un rapport publié en février 2013 intitulé « Globalizing Torture », l’organisation Open Society Justice Initiative a révélé que près de 54 pays, comprenant l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et l’Italie, ont collaboré de différentes manières avec la CIA dans le cadre des transferts de prisonniers et d’interrogatoire renforcés. Depuis 2012, quatre arrêts ont été rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le premier conclut à la violation de la Convention contre la torture par la Macédoine dans le cadre de l’affaire El-Masri. Les deux suivants incriminent la Pologne, reconnue coupable d’avoir préparé « la mise en œuvre des opérations de remise, de détention secrète et d’interrogatoire menées par la CIA sur son territoire »[8] suite aux requêtes du palestinien Abu Zubaydah et du saoudien Al Nashiri qui sont toujours détenus à Guantanamo et symbole de l’impossible réintégration de ces détenus fantômes au sein du système légal américain. Enfin, le dernier arrêt rendu par la CEDH le 23 février 2016 reconnaît la culpabilité des autorités italiennes dans l’enlèvement d’un imam égyptien Abu Omar à Milan par la CIA en 2003. Outre les nombreuses violations des droits de l’homme mises en évidence par l’arrêt, la CEDH dénonce un recours abusif au secret d’Etat « appliqué par le pouvoir exécutif italien afin d’empêcher les responsables de l’affaire de répondre de leurs actes » [9].

Zero Dark Thirty passe sous silence les nombreux « débordements » du programme : morts de détenus (comme Gul Rahman décédé en novembre 2002 dans la prison secrète de la CIA Salt Pit au nord de Kabul) ; erreurs d’arrestations (l’allemand Khaled El-Masri kidnappé et interrogé dans un hôtel de Skopje en Madédoine pendant près de trois semaines alors qu’il avait été confondu avec un homonyme par la CIA), utilisation de techniques non autorisées par le bureau de conseil juridique… Le film ne fait pas aussi mention du bras de fer juridique et politique engagé à Washington qui oppose partisans et adversaires du programme, autour de la qualification juridique des pratiques utilisées, de la validité des informations obtenues dans ce cadre, ni même des nombreuses informations mensongères concernant l’efficacité du programme communiquées par la CIA au Congrès et à la Maison Blanche. Enfin, Zero Dark Thirty omet les suspensions successives du programme : en 2004 par George Tenet, alors directeur de la CIA, à la suite d’un rapport en interne qui récuse le mémo Bybee et questionne l’efficacité du programme ; en 2005, lorsque la Chambre des Représentants approuve une mesure prise par le Sénat visant à proscrire les traitements cruels et inhumains sur les prisonniers détenus par les Etats-Unis.

Au demeurant, la deuxième partie du film aborde l’ère post-torture au moyen de deux allusions. La première, lorsque l’agent de la CIA Dan met en garde Maya du changement de politique à Washington en évoquant vraisemblablement l’impact du scandale d’Abou Ghraib : « Tu ne veux pas être la dernière à tenir un collier de chien quand le comité de surveillance débarquera ». Selon le rapport du Sénat de 2014, les techniques d’interrogatoire ont pris fin en novembre 2007. Mais le programme de détention s’est poursuivi jusqu’en avril 2008. Deuxième allusion : l’interview de Barack Obama que Maya regarde sur une télévision d’une salle de réunion : « J’ai répété à plusieurs reprises que les Etats-Unis ne torturent pas et je vais m’assurer que nous ne torturons pas », explique le Président. « Cet engagement fait partie d’un effort global pour regagner la stature morale des Etats-Unis dans le monde ». Le 22 janvier 2009, soit deux jours après sa prise de fonction, il signe l’executive order n°13491 récusant les pratiques de la précédente administration. Il réaffirme la mise en conformité des interrogatoires menés par les Etats-Unis avec les Conventions de Genève et des Nations Unies. Au même moment, l’utilisation systématique de frappes de drone par les Etats-Unis s’affirme de plus en plus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Peu exploité par l’administration Bush, qui peine à se remettre du scandale d’Abou Ghraib et des révélations de 2006, l’assassinat par drone devient l’une des pratiques habituelles de l’administration Obama à partir de 2009.

Toujours plus isolée, Maya reste la seule à poursuivre, tout au long du film, la piste d’Abu Ahmed. Sa détermination devient quasi mystique, elle qui a participé pendant près de six ans sans état d’âme au programme de torture. Elle se porte d’ailleurs garante « à 100% » auprès du directeur de la CIA de la présence de Ben Laden dans le compound d’Abbottābād avant le lancement de l’opération Neptune’s Spear. C’est elle qui identifiera avec certitude le corps d’Oussama Ben Laden rapportés par les Navys Seals.

Dans cette dernière séquence, la relative invisibilité d’Oussama Ben Laden fait écho à l’absence visuelle de l’événement 11 septembre en début du film. La « monstruosité » des attaques rejoint celle de leur commanditaire. A la fin, l’homme le plus recherché du monde n’est jamais figuré en totalité, il n’est jamais vu. Jusqu’à la dernière séquence donc, Zero Dark Thirty semble respecter la position officielle qui proscrit toute circulation de photos du corps de Ben Laden.

Outil de propagande ? Certes, Zero Dark Thirty va à l’encontre de toutes les conclusions du rapport de la commission Feinstein en défendant l’utilité des méthodes de détention et d’interrogatoire de la CIA. Mais ce film doit aussi être regardé comme une tentative complexe et passionnante de rendre visible ce qui est habituellement retranché de la vue du public, de mettre en images les arcana imperii des Etats-Unis aux prises avec la menace terroriste, bref de représenter ce que nous Européens nommons la « raison d’Etat » en action.

Pauline Blistène

Doctorante en Philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, DGA-CNRS


  1. Voir par exemple l’article de Daniel Joyce et Gabriel Simm, « Zero Dark Thirty : international law, film and representation », London Review of International Law, septembre 2015 (3:2).
  2. Les Etats-Unis signent la Convention des Nations Unies contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1988. Elle sera ratifiée en 1994.
  3. Olivier Chopin « Renseignement (théorie et histoire politique) » in Dictionnaire encyclopédique de l’État, éd. Pascal Mbongo, François Hervouët et Carlo Santulli, Paris, Berger Levrault, 2014, [p. 790-794] ; Yves-Charles Zarka, “Peut-on se débarrasser de la raison d’Etat ?”, Le Débat, n°99/2, 1998, [p.27-33].
  4. Voir notamment le mémoire de recherche de Benjamin Oudet, La raison d’Etat dans la démocratie : le cas des drones tueurs, Mémoire de Master 2 sous la direction de Yves Viltard, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014.
  5. Voir à ce sujet l’article de David Luban intitulé « Liberalism, Torture and the Ticking Time Bomb », publié dans The Torture Debate in America, Karen J. Greenberg (éd.), Cambridge, CUP, 2006.
  6. David Cumin, Manuel de droit de la guerre, Paris, Larcier, 2014, p.53.
  7. Le discours est accessible en intégralité via le site de la Maison Blanche ou bien celui du New York Times : http://www.nytimes.com/2006/09/06/washington/06bush_transcript.html?pagewanted=all&_r=0
  8. Une chronologie sur l’enquête menée par le Conseil Européen des Droits de l’Homme est disponible ici : http://assembly.coe.int/nw/xml/News/FeaturesManager-View-FR.asp?ID=362
  9. Le communiqué de presse de la CEDH concernant l’affaire Nasr et Ghali c. Italie est disponible en intégralité ici : http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-5307164-6607364

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