Charles Chaumont – (18 décembre 1913 Lille – 29 avril 2001 Aubenas)
Élu à l’Institut en 1961, il en a démissionné en 1975. Il enseigne le cours de droit des gens de 1961 à 1968.
On reprendra ici le texte de l’adresse qui lui a été présentée lors de son départ de la Faculté de droit de l’ULB en mai 1971.
C’est en octobre 1961 qu’a débuté votre expérience bruxelloise.
Un observateur non averti aurait pu croire que votre aboutissement dans notre Université était la résultante des forces qui vous faisaient, à l’époque, sillonner l’Europe occidentale. En effet, n’étiez-vous pas alors professeur à la faculté de droit de Nancy, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et Secrétaire général de l’Académie de La Haye?
En l’occurrence, ce ne furent pas les lois de la physique, mais notre cher collègue Henri Rolin qui réussit à vous convaincre de donner une partie de votre temps à notre Université. Lors de sa retraite, la question de la succession à son enseignement du droit des gens , auquel on désirait donner un plus grand développement, posait à la faculté des problèmes insolubles. Si plusieurs jeunes collègues pouvaient être appelés à enseigner des cours particuliers, crées à ce moment dans cette discipline, aucun d’entre eux n’avait l’autorité ou la maturité requise pour assurer l’enseignement fondamental du droit des gens.
Votre nom s’imposa à notre faculté sans l’ombre d’une hésitation. Elle ne pouvait faire un meilleur choix. N’étiez-vous pas le parfait exemple d’enseignant qu’elle affectionne, partageant son temps entre la science et la pratique. Vos titres étaient éminents dans ces deux domaines.
Pourtant c’est dans le deuil que s’est ouverte votre existence. Vous êtes né le 18 décembre 1913 à Lille. Quelques mois plus tard, la guerre éclate et votre père, officier dans les chasseurs, est tué en novembre 1914, à Dixmude en défendant le sol belge dont la neutralité avait été si brutalement violée.
Demeuré seul avec votre mère, vous allez, comme pupille de la nation, faire vos études à Toulon puis aux facultés des lettres et de droit d’Aix-en-Provence.
En 1932 vous êtes licencié en philosophie et en 1933 licencié en droit. En 1936, avec une thèse sur « La conception américaine de la neutralité » préparée sous la direction du professeur Jules Basdevant, vous obtenez le titre de docteur à la faculté de droit de Paris.
Puis ce fut le service militaire effectué dans la marine. La mer vous a laissé de beaux souvenirs, ils restent vivaces à travers ce beau dessin, suspendu aux murs de votre chambre de Haute Ardèche, offert par un de vos compagnons d’alors et qui représente le navire sur lequel vous servîtes tous les deux.
Le commissaire de la marine de réserve que vous êtes devenu est rendu – pour peu de temps- à la vie civile en 1938. A peine avez-vous le temps de publier une « Etude juridique sur la dissolution des conseils municipaux par le pouvoir exécutif » dans la Revue du droit public que vous êtes mobilisé en septembre 1939.
Puis c’est la débâcle et l’armistice. En septembre 1940, vous êtes démobilisé et admis comme pensionnaire de la Fondation Thiers où vous vous remettez à l’étude en vue de la préparation du concours d’agrégation de droit public dont vous sortez troisième en 1942. Bien que relatifs au droit administratif et au droit constitutionnel, vos articles de l’époque – notamment l’analyse des arrêts du Conseil d’Etat « La Fleurette » et la « Grande-Pêche » pouvaient témoigner d’un commencement d’intérêt pour les choses de la mer.
Vous commencez votre carrière universitaire comme maître de conférences à l’Ecole des sciences politiques de Paris, mais en 1944 vous êtes nommé professeur de droit international public à la faculté de droit de Nancy à laquelle vous êtes resté fidèle depuis trente ans.
Cependant, la défense du pays contre le nazisme et l’occupant vous amène à vous donner entièrement à la résistance. Vous êtes lieutenant FFI en 1944 dans les maquis du Tarn et délégué général du mouvement républicain de libération pour les provinces de l’Est. Recherché par la Gestapo, vous faites – à la demande d’un doyen inconscient- passer semi-clandestinement des examens à Nancy.
Après la guerre, tout en conservant vos enseignements à Nancy et à Paris à l’Institut d’études politiques, où vous êtes nommé professeur à partir de 1950,vous enseignez à la faculté de droit de l’Université de Sarrebrück de 1948 à 1950 et de 1954 à 1956, à l’Académie de droit international de La Haye, à l’Institut des Hautes études internationales de la faculté de droit de Paris en 1953, 1954 et 1959.
Georges Scelle – qui vous a distingué depuis longtemps- vous propose comme secrétaire général du curatorium de l’Académie de droit international de La Haye en 1959. Vous demeurerez à ce poste jusqu’en 1965. Vous êtes en outre nommé associé à l’Institut de droit international en 1961. Cette illustre compagnie vous élira dans la catégorie des membres en 1967.
Votre expérience pratique le dispute en importance à vos titres scientifiques.
Ainsi , vous êtes membre de la délégation française au Comité des juristes de Washington de 1945 pour la préparation du statut de la Cour internationale de justice, membre, la même année de la délégation française à la Conférence de San Francisco où Henri Rolin fait votre connaissance et vous apprécie.
Vous êtes membre du comité d’experts du Conseil de Sécurité en 1946 et vous faites partie de la délégation française à toutes les sessions ordinaires de l’Assemblée générale des Nations Unies (en particulier à la sixième commission) de 1946 à 1958).
A partir de 1949, le Quai d’Orsay vous a nommé jurisconsulte adjoint; la même année vous présentez, au titre d’agent, la position française devant la Cour internationale de justice lors de la procédure relative à l’avis consultatif sur la répartition des dommages subis au service des Nations Unies;. Vous représentez la France dans plusieurs comités du Conseil de l’Europe et notamment dans le Comité d’experts, chargé d’élaborer la Convention européenne des droits de l’homme. Une nouvelle fois votre chemin croise celui d’Henri Rolin qui, à l’Assemblée consultative participe à l’élaboration de cette convention.
Il y a deux ans, vous siégiez au Comité des experts gouvernementaux chargé d’examiner la revision des Conventions de Genève de 1949. Le gouvernement français fait encore appel à vous pour le représenter régulièrement depuis 1953 – sur ce point les vues de la Ve République correspondent aux vôtres- au Comité des Nations Unies pour la définition de l’agression.
Riche de cette expérience votre production scientifique n’en acquiert que plus de valeur. On ne peut ici, qu’en esquisser les principales orientations : la question du recours à la force et de la sécurité collective, le droit des organisations internationales, le droit de l’espace enfin les structures fondamentales du droit international contemporain.
La question du recours à la force et de la sécurité collective vous a constamment préoccupé. Dès 1948 vous publiez un ouvrage : » La sécurité des Etats et la sécurité du monde. ». En 1952, le thème de votre cours à l’Institut des Hautes études internationales de Paris concernera les conceptions en vigueur à l’époque contemporaine sur la souveraineté et la sécurité internationales. En 1956, vous confiez à l’Annuaire français de droit international l’article: « Explication juridique d’une définition de l’agression ». Vous examinez à nouveau cette importante question dans votre récente contribution aux Mélanges Ganshof van der Meersch.
Dans cette matière délicate, vous insistez sur la nécessité, pour respecter tant l’esprit que la lettre de la Charte des Nations Unies, d’adopter des critères clairs et objectifs. Vous critiquez les formules vagues, floues et subjectives par lesquelles certaines grandes puissances tentent de dissoudre l’obligation et de justifier ainsi une politique de force.
Dans le même sens, votre « Analyse critique de l’intervention américaine au Viêt-Nam. » parue en 1968 dans la Revue belge de droit international a démonté implacablement le mécanisme de l’intervention puis de l’agression américaine au Viêt-Nam. Les accords récents du 27 janvier 1973 ont montré la justesse de vos vues sur l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale du Viêt-Nam, le caractère factice de la division du pays en deux Etats et de la prétendue agression du Nord contre le Sud.
Vous releviez ceci qui demeurera la leçon de cette méprisable page de l’histoire du xxe siècle:
« Ainsi les premières démarches de démystification, au Viêt-Nam comme en d’autres lieux où un Etat riche s’attribue des pouvoirs à l’égard d’une nation pauvre, sont de comprendre qu’aucun système politique n’a, à priori, une valeur absolue et universelle, que le capitalisme libéral, tout comme le capitalisme autoritaire, ou le socialisme dans ses diverses manifestations, peuvent être abhorrés par les uns et préférés par les autres; que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas attaché à un système prédéterminé; que la liberté a plusieurs sens, et que c’est à chaque peuple seulement qu’il appartient de décider du sens qu’il veut lui donner; que lorsqu’un peuple choisit la souffrance et le risque d’extermination, comme c’est le cas au Viêt-Nam, plutôt que la « liberté » qui lui est apportée par les soldats et les bombardiers de l’étranger, c’est que le sens qu’il donne à la liberté correspond mieux à son droit de disposer de lui-même que le sens qu’on veut lui imposer de l’extérieur, et par là a valeur de témoignage; que finalement la prétention des Etats-Unis à une vocation d’intervention n’est qu’un des avatars de la « raison du plus fort » immortalisée par La Fontaine. »
Le droit des organisations internationales est aussi un de vos centres d’intérêt.
Dans les Mélanges Georges Scelle, vous publiez vos « Perspectives d’une théorie du service public à l’usage du droit international contemporain. » Il s’agissait d’une classification hardie des organisations internationales selon des catégories juridiques reprises du droit administratif français et appliquées par analogie au service public international. Vous proposiez un cadre juridique qui certes n’était pas dénué d’une certaine audace provenant de l’utilisation par analogie de concepts de droit interne, voir de droit administratif, à la société internationale. Or, large est le fossé qui sépare notre société internationale du modèle étatique. Ce cadrage juridique ne se présentait pas moins comme une synthèse vivifiante et un appel à la réflexion juridique . Cette voie semble être féconde. Un auteur n’a-t-il pas, en développant vos idées, consacré trois volumes à la description des « établissements publics internationaux »?
En 1953, vous traitez de l' »Aspect évolutif des organisations internationales et la collaboration internationale. ». Votre cours à l’Institut d’études politiques de Paris sur les organisations internationales connaît de nombreuses éditions.
Dans les Mélanges offerts à Henri Rolin, vous montrez « la signification du principe de spécialité des organisations internationales ». Dans ce principe, les organisations internationales trouvent à la fois le champ de leur réalisation: à savoir leurs pouvoirs tant explicites qu’implicites- et leur limite: le détournement ou l’excès de pouvoir. Ce même principe de spécialité explique la relativité des organisations internationales par rapport aux Etats tiers ou aux organisations tierces.
Nombreuses sont vos publications plus spécialement consacrées à l’ONU. Sans parler du Que sais-je ? qui en était, en 1968, à sa sixième édition; notons votre article sur la révision de la Charte, votre cours à La Haye, en 1956 sur « Nations et neutralité », vos articles dans l’AFDI sur « La situation juridique des Etats à l’égard de la FUNU. » et « L’équilibre des organes politiques des Nations Unies et la crise de l’organisation. » . Dans la Revue de droit contemporain , un article est consacré aux « Rôles respectifs de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité ».
Retenons ici votre position sur ce dernier point. Loin d’emboîter le pas de tous ceux qui se félicitent de voir l’Assemblée générale s’approprier les pouvoirs que le Conseil de sécurité n’est pas à même d’exercer, faute d’entente entre les grandes puissances, vous indiquez les dangers d’une telle attitude. Vous montrez l’inanité qu’il y a à imaginer que l’ONU est un exécutif mondial et à se lamenter ensuite par ce que la réalité ne correspond pas à l’image qu’on s’en est faite. Dans l’Organisation , l’Assemblée générale représente la volonté des tous les Etats membres sur un pied d’égalité; c’est un lieu de discussion, de négociation, d’élaboration de positions majoritaires. Le Conseil de sécurité, au contraire, dominé par les grandes puissances, est seul compétent pour l’action coercitive et il est normal que pour une telle action l’unanimité des grandes puissances soit acquise faute de quoi, un groupe majoritaire pourrait imposer sa volonté à la minorité. Dans un monde divisé comme le nôtre sur les plans idéologique, économique et social, les organes de l’ONU ne peuvent se transformer en instrument d’oppression aux mains d’une ou plusieurs puissances; tout transfert de pouvoir du Conseil vers l’Assemblée ne peut que rompre l’équilibre politique entre organes et Etats membres et conduire à l’impasse comme l’a montré la crise financière de 1964-1965.
Dès son apparition vous avez eu le coup de foudre pour le droit de l’espace. En 1959, vous enseignez à l’Institut des hautes études internationales de Paris les « Problèmes essentiels du droit international de l’espace ». En 1960, vous traitez, dans la Revue de droit contemporain des « Perspectives que doit adopter le droit de l’espace ». Vous jouez un rôle important à l’Institut de droit international dans l’adoption de la résolution de Bruxelles sur le droit de l’espace, résolution que vous commentez dans la Revue belge de droit international. Vous traitez le sujet dans le Répertoire de droit international, l’Encyclopédie universelle et dans un Que sais-je ? qui en était, en 1970 à sa deuxième édition.
Ce domaine nouveau ne pouvait qu’attirer un homme aussi ouvert intellectuellement que vous. Vous avez été parmi les premiers à insister sur la nécessité de créer pour l’espace un droit nouveau où ne s’appliquerait pas des catégories juridiques manifestement inadéquates telle la souveraineté des Etats sous-jacents, mais bien celles qui laissent la plus grande marge à la nouveauté et au progrès: la liberté de l’espace, son affectation à l’intérêt général, la subordination à cet intérêt des situations privilégiées de certains Etats sur l’espace et les corps célestes.
Votre apport à l’étude des structures fondamentales du droit international contemporain se trouve surtout dans votre contribution aux Mélanges Basdevant consacrée à la « Recherche du contenu irréductible du concept de souveraineté internationale de l’Etat » et dans votre « Cours général de droit international public » enseigné à La Haye en 1970. S’agissant de la souveraineté, vous montrez le côté sociologique du concept, sa liaison avec la conscience nationale. Vous concevez la souveraineté moins comme une chose statique que comme une revendication.
Quant au Cours général de 1970 à La Haye, il faut bien le dire, il fit l’effet d’une bombe dans l’atmosphère feutrée du Palais de la Paix, n’aviez-vous pas l’audace de citer Marx, Lénine et le Petit livre rouge!
La synthèse que vous y avez présentée se laisse difficilement résumer. Qu’il suffise de dire que vous vous attachez à montrer la division profonde qui caractérise ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale, l’usage souvent dangereux qui est fait de ce concept, la nécessité de prendre conscience des contradictions qui imprègnent les relations internationales.
L’existence même de ces contradictions et le danger de leur résolution par la force, font que vous êtes un farouche défenseur de la souveraineté des Etats non pas comme un volontariste fermé à toute évolution ou coopération, mais comme un réaliste qui voit dans l’accord international la seule manière de résoudre les contradictions d’une manière conforme aux intérêts de chacun ainsi qu’au droit.
Pour la même raison, la notion d’accord occupe une place centrale dans le domaine des sources du droit international qu’il s’agisse du traité ou de la coutume.
De ce cours un de vos commentateurs et ami a pu écrire dans la Revue belge de droit international :
« L’ouvrage du professeur Chaumont nous paraît être la plus importante synthèse de ces dix dernières années, non seulement par la vision globale qu’il apporte et qui résout la perpétuelle antinomie entre le « droit » et son application concrète, mais par ce qu’il offre une méthode de réflexion sur tous les problèmes de droit international y compris ceux qui naissent chaque jour. En reliant le droit à son support concret, en soulignant les contradictions qui sous-tendent la « société » internationale et le fait que chaque règle de droit n’est qu’une solution concrète, elle-même partie du processus pour l’avenir, en un mot, en appliquant la méthode marxiste au droit international et ceci dans l’indépendance d’esprit qu’on lui connaît, le professeur Chaumont apporte aux juristes occidentaux insatisfaits de la vision traditionnelle inconciliable avec leurs aspirations morales ou politiques, aux juristes des pays en voie de développement et aux peuples en lutte pour leur libération nationale, une vision générale du droit international et une méthode de pensée qui débouche enfin sur le mouvement et l’espoir ».
Cher et honoré collègue, vous dites parfois que vous allez cesser de faire du droit pour vous adonner à la rédaction de romans d’épouvante.
On ne sait si, répondant à des sentiments bassement corporatistes, il convient de souhaiter que vous renonciez à un tel projet qui priverait la littérature juridique de tout ce que votre pensée, en pleine créativité, peut encore lui donner ou si, en revanche, faisant preuve de sentiments altruistes, il s’impose d’encourager ce penchant qui donnera sans doute à la littérature fantastique quelque R.L. Stevenson, un Edgard Poe voire un Jean Ray. La seule inquiétude qui nous retienne, c’est que nous savons que, pour vous, la pensée est indissociable de l’action. Comment ferez-vous dans cette nouvelle orientation?
Avec votre départ prématuré, notre faculté perd aussi un grand pédagogue, un grand professeur qui sut dispenser le cours et le séminaire de droit des gens de manière toujours vivante et passionnante. Dix promotions de juristes se souviendront du professeur aux yeux vifs et pétillants qui leur enseignait le droit international sans autre texte que quelques feuillets de bloc notes couverts d’hiéroglyphes, quelques coupures du Monde et le dernier rapport de la Commission du droit international. Pour vous, chaque cours est préparé comme un nouvel affrontement avec un public à convaincre.
Jamais vous n’êtes arrivé en retard à votre cours qui s’est donné, pendant dix ans par une nécessité quasi-giralducienne le mardi à 14 heures. Jamais les étudiants n’auront su qu’à partir de 13 heures 30 vous commenciez à craindre de faire attendre votre auditoire.Votre calvaire débutait à 12 heures 30 si un collègue avait le mauvais esprit de vous inviter à déjeuner chez lui un peu en dehors de Bruxelles!
Votre séminaire portait toujours sur des questions actuelles et contestées : les idéologies et le droit international, le droit international et les Etats nouveaux, les zones d’influence en droit international. Vous commentez avec bienveillance les exposés des étudiants. Contrairement à l’école juridique française, vous n’avez jamais imposé aux étudiants le formalisme du plan qui chez certains voisine le fétichisme. Le plan doit suivre l’idée et non l’inverse. Vous stimuliez la discussion, organisiez des tables rondes.
Les étudiants qui ont eu la chance de préparer une thèse ou un mémoire sous votre direction conserveront aussi le souvenir de vos scrupules et de votre conscience professionnelle, le respect que vous aviez de leurs orientations fondamentales et le souci de les aider ce qui n’excluait pas des réflexions fermes sur la structure du travail, le mode de raisonnement et le fond si ce dernier vous était familier.
La conception rigoureuse que vous vous faisiez de vos devoirs de professeur rendait impératif à vos yeux que le titulaire du cours fasse passer lui-même les examens et c’est par ce que vous ne pouviez plus faire face à cette charge et que vous n’acceptiez qu’avec répugnance de vous faire suppléer par un collègue, que vous avez demandé, en 1970, d’être déchargé de l’enseignement du droit des gens en première licence.
C’est la surcharge de travail et les ménagements que vous devez accorder à votre santé qui vous amènent aujourd’hui à renoncer définitivement à l’enseignement du droit international approfondi que la faculté de droit vous avait réservé en troisième année de licence. Pourtant il fut un temps où votre attachement à la Belgique et vos descriptions idylliques de notre pays – que nous trouvions franchement déformées par la passion – vous avaient presque conduit à décider de venir y vivre! Vos étudiants belges étaient les plus vifs et les plus attentifs, vos étudiantes belges, de loin les plus ravissantes!
C’est avec beaucoup de regret que nous prenons acte de votre décision. Malgré votre remarquable organisation, nous comprenons que l’escale bruxelloise jointe à celles de Nancy et de Paris devenait une gageure alors que les circonstances vous imposaient de vivre l’hiver dans la Drôme et l’été en Haute-Ardèche!
Vos collègues se souviendront de vos déjeuners à « La Marjolaine » où vous choisissiez toujours les goûteux plats provençaux – sans ail – arrosés de Tavel, le seul rosé que vous aimiez, le tout suivi de l’incontournable Zucotto.
Nous regretterons de ne plus vous entendre, à la salle des professeurs, trancher dans le vif la valeur des hommes et des institutions. Vous ne tergiversiez ni dans vos amitiés ni dans vos mépris. Vos amis connaissent votre affectueuse fidélité : Henri Rolin, Walter Ganshof van der Meersch, Jean Salmon et les plus jeunes qui ne savent peut-être pas à quel point leur avenir vous préoccupait. Un de vos assistants savait-il combien vous vous inquiétiez de le voir demeurer célibataire ? En revanche vous n’aviez pas de mots assez durs pour les hommes politiques qui ont trahi ou pour des collègues dont les variations dans les opinions coïncident étrangement avec l’évolution du pouvoir.
Vous n’avez jamais renoncé à vos idéaux et c’est toujours comme un homme engagé que vous avez vécu : pendant la guerre 1940, outré par le sort qui frappe les juifs, vous arborez l’étoile jaune; en 1956, lors de l’agression franco-britannique à Suez, vous rompez avec la SFIO et quittez la délégation française à l’ONU ; vous luttez pour le Viêt-Nam par des conférences à Grenoble, à Namur, à Bruxelles et vous faites salle comble au Relais dans un face à face avec un juriste américain; en 1967, vous n’acceptez pas la partialité de votre hebdomadaire satirique préféré dans le conflit israélo-arabe, vous renoncez à votre abonnement; en 1968, le mois de mai vous trouve parmi les plus ouverts à la réforme des institutions universitaires sclérosées.
Vous nous quittez, mais vous conservez ici non seulement des amis fidèles mais de jeunes collègues qui s’attacheront à perpétuer votre message ».
Bibliographie de Charles Chaumont
Sources
- Jean-Pierre Colin « Hommage au professeur Charles Chaumont, Mélanges , p. xxix-xxxii.
- Biographie succincte Annuaire I.D.I. vol 49 II (1961) 399-401.
- L’actualité de la pensée de Charles Chaumont RBDI, 2004/1, vol XXXVII, pp. 257-317.
- Avant propos par Jean Salmon pp. 257-258.
- Emmanuelle Jouannet : La pensée juridique de Charles Chaumont, pp. 258-289.
- Monique Chemillier-Gendreau : Actualité de la pensée de Charles Chaumont et perspectives du droit international, pp. 290 – 308.
- L’adresse faite à la Faculté de droit lors de son départ est reproduite dans la RBDI, 2004/1, vol XXXVII, pp. 309-317.
Bonnes photos:
- Cours général R.C.A.D.I, 1970-I, t. 129 face à la page 335.
- Dans ses Mélanges 1984