Peut-on dire n’importe quoi ?

Le 22 février 2017, l’ULB organisait sur le campus du Solbosch une après-midi de rencontre avec des élèves de dernière année du secondaire. A cette occasion, et comme l’année dernière (https://cdi.ulb.ac.be/un-droit-dans-la-guerre-saynete-du-19-fevrier-2016/), plusieurs membres du Centre ont participé à une activité reprenant le concept du Tribunal étudiant pour le règlement des différends internationaux (TERDI). L’atelier se composait d’un président, de deux avocats plaideurs, et des étudiant(e)s de secondaire, dans le rôle de jurés. Il s’agissait de présenter deux plaidoiries exposant des vues radicalement opposées sur la thématique de la liberté d’expression, et de placer les élèves dans la position de juge, devant rendre un verdict en faveur de l’une ou l’autre thèse. Le point de départ de l’argumentation consistait en un extrait du film Lenny, réalisé par Bob Fosse en 1974, relatant la vie du comique américain Lenny Bruce, notamment ses déboires judiciaires pour atteinte aux bonnes mœurs. Le débat a été introduit par Laurent Weyers et les plaidoiries ont été réalisées par Anne Lagerwall et François Dubuisson. Bien entendu, il s’agissait d’un jeu de rôle, les idées défendues lors de cet exercice de style ne reflétant pas nécessairement les opinions juridiques des intervenants. Ci-dessous, vous trouverez la vidéo de l’événement, et le texte écrit de l’introduction et des plaidoiries.

Laurent Weyers :

Mesdames et Messieurs les Juges,

Vous aurez certainement déjà entendu dire C’est contraire à ma liberté d’expression ! Ou Cela viole ma liberté d’expression ! Mais, au juste, qu’est-ce que cela veut dire ? Peut-on tout dire ? Peut-on tout exprimer ? Et ce, de quelque manière que ce soit ? Bref, peut-on dire n’importe quoi ? Et n’importe comment ? La question se pose particulièrement en ce qui concerne les artistes dont le métier est précisément de s’exprimer. Ils le font par des mots, par des écrits, par des films, et encore de bien d’autres manières. Et bien, c’est cette question qu’il vous est demandé, Mesdames et Messieurs les Juges, de trancher aujourd’hui : « Un artiste peut-il dire exprimer ce qu’il veut et le faire comme il le veut ? »

Bien sûr, ce n’est pas une tâche facile. Pour aider à votre prise de décision, Maître Lagerwall (à droite) et Maître Dubuisson (à gauche) vous livreront leur point de vue sur la question. Et ces points de vue sont radicalement opposés, comme vous allez l’entendre.

Avant cela, toutefois, pour rendre les choses plus concrètes, nous allons vous montrer un court extrait du film Lenny, un film américain qui a été tourné dans les années 70 et dans lequel, peut-être, certains d’entre vous reconnaîtront l’excellent Dustin Hoffman. Le film relate l’histoire véridique de Lenny Bruce, considéré comme l’un des plus grands comiques américains. Il fut, l’un des précurseurs du stand-up, ou comme on l’appelle parfois, du one-man show.

Comme vous le verrez, Lenny Bruce a eu du succès – beaucoup de succès –, mais il a aussi fait l’objet de nombreuses critiques. Il a même eu quelques ennuis judiciaires, certains considérant que ses propos étaient obscènes au regard de la loi qui était à l’époque en vigueur. On se situait alors dans les années 1950.

Vous allez en juger par vous-mêmes puisqu’il est temps de vous montrer maintenant l’extrait en question.

Anne Lagerwall :

Mesdames et Messieurs les juges, la question que l’affaire Lenny Bruce pose est simple : peut-on dire n’importe quoi ? L’artiste peut-il utiliser n’importe quelle expression, aussi vulgaire et obscène soit-elle ? Le chanteur peut-il insulter les femmes et les traiter de tous les noms ? Le peintre peut-il se moquer des hommes politiques en les représentant nus dans des postures sexuelles incongrues ? C’est à ces questions qu’il vous reviendra de répondre dans quelques instants et auxquelles je vais vous proposer pour ma part de répondre par l’affirmative : oui, on peut dire n’importe quoi. Et en particulier, l’artiste peut et doit pouvoir dire n’importe quoi.

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Ce sont là les termes de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée au sortir de la seconde guerre mondiale, par les Nations Unies, alors convaincues que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme avaient conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seraient libres de parler et de croire devait constituer la plus haute aspiration de l’homme.

La liberté d’expression est l’un des fondements essentiels de notre société démocratique, elle est l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun d’entre nous. Ce n’est pas seulement ma conviction mais l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme, un avis qu’elle a exprimé dans chacune des 3984 affaires dont elle a été saisie à ce jour à propos de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté d’expression. La Cour précise d’ailleurs continuellement (et il est important de le relever pour l’affaire qui nous occupe) que cette liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population ».

La liberté d’expression, elle est reconnue pour chacun d’entre nous mais aussi et surtout pour les artistes, comme Lenny Bruce, parce que les artistes sont indispensables au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques. La créativité artistique élargit nos perspectives et développe nos cultures. L’art nous relie les uns aux autres, il transcende les barrières et les frontières. L’art est un moyen de résistance contre toutes les formes de terreur et de violence. Qu’on songe à Pablo Picasso qui dénonce les bombardements ordonnés par le régime nationaliste de Franco contre un petit village espagnol du nom de Guernica, ou à Karim Wasfi qui joue du violoncelle au beau milieu des décombres de Bagdad. L’art questionne nos façons de concevoir le monde en dénonçant ses violences, et pour ce faire, c’est vrai, l’art peut parfois choquer.

Un peintre peut-il représenter n’importe qui, et n’importe comment ? Lors d’une exposition à Vienne, une galerie d’art présente le tableau « Apocalypse ».

Il s’agit d’un collage montrant plusieurs personnalités publiques dans diverses positions sexuelles : Mère Teresa, le cardinal Groer, l’ancien chef du parti de l’extrême droite autrichienne, Jörg Haider ainsi que le secrétaire général de ce parti M. Meischberger. En bas, au centre, le tableau est endommagé par un visiteur qui couvre de peinture rouge la partie représentant notamment M. Meischberger, de sorte qu’on ne le voit presque plus. Cela ne l’a pas empêché de demander aux juges autrichiens d’interdire l’exposition de ce tableau, ce qu’ils ont d’ailleurs accepté de faire en considérant que cette œuvre portait atteinte à la réputation et à l’honneur de l’homme politique. La galerie d’art a alors saisi la Cour européenne à Strasbourg, et a cette fois eu gain de cause : la Cour a estimé que les juges autrichiens avaient violé la liberté d’expression de la galerie. Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait d’une « satire (qui) est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent vise naturellement à provoquer et à agiter » et qu’on doit admettre ce moyen d’expression largement dans nos sociétés. (Cour européenne des droits de l’homme, Vereinigung Bildender Künstler contre Autriche, 25 janvier 2007, § 33).

Les artistes doivent jouir d’une liberté d’expression importante, même si par leur œuvre, ils heurtent, ils choquent, ils inquiètent, ils fâchent. Les artistes incarnent des points de vue différents, ils nourrissent le débat, ils expriment ce qu’ils ressentent et il faut les laisser faire, tous et toutes, pour permettre une diversité de pensée. Toute autre option génère le risque d’entrer dans un débat inextricable sur ce qu’il est convenable de dire. Qu’est-ce qui est « obscène » ? Qu’est-ce qui est « insultant » ? Voulez-vous vraiment le définir et assurer une forme de censure ? Etes-vous certain par exemple qu’Orelsan doit être condamné pour avoir incité à la haine et à la violence contre les femmes dans cette chanson dont je vous livre un extrait :

« J’déteste les petites putes genre Paris Hilton
Les meufs qui sucent des queues de la taille de celle de Lexington
T’es juste bonne à te faire péter le rectum
Même si tu disais des trucs intelligents t’aurais l’air conne
J’te déteste j’veux que tu crèves lentement
J’veux que tu tombes enceinte et que tu perdes l’enfant
Les histoires d’amour, ça commence bien, ça finit mal
Avant je t’aimais maintenant j’rêve de te voir imprimée de mes empreintes digitales ».

Pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas là d’incitation à la violence : « Orelsan dépeint, sans doute à partir de ses propres tourments et errements, une jeunesse désenchantée, incomprise des adultes, en proie au mal-être, à l’angoisse d’un avenir incertain, aux frustrations, à la solitude sociale, sentimentale et sexuelle ». La Cour n’a pas censuré cet artiste parce que le risque lui paraît grand que cette censure s’exerce au nom d’une morale nécessairement subjective qui risque d’interdire des modes d’expression, souvent minoritaires (comme le rap), mais qui sont aussi le reflet d’une société vivante et qui ont leur place dans une démocratie (Cour d’appel de Versailles, 8ème chambre, 18 février 2016, n°15/02687).

Auriez-vous condamné Charlie Hebdo pour les caricatures représentant le prophète Mahomet ? Ces caricatures pouvaient aussi choquer et être interprétées comme une forme d’irrespect vis-à-vis des musulmans, comme une façon d’alimenter une certaine islamophobie qui s’est développée dans le contexte de la lutte contre le terrorisme où on fait trop souvent rimer terrorisme et islam. La Cour de Paris n’a pas condamné. Pour elle, en dépit du caractère choquant voire blessant de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, il n’y avait pas de volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans. Les limites admissibles de la liberté d’expression n’avaient donc pas été dépassées.

Alors c’est vrai, on a condamné Dieudonné, lorsqu’il a fait monter sur scène au Zénith Monsieur Faurisson, pour lui remettre le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence, un homme bien connu pour avoir continuellement nié l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration, et condamné pour cette raison.

La Cour de Paris a estimé qu’il ne s’agissait plus vraiment d’un spectacle de divertissement mais d’un meeting qui visait à faire entériner les thèses de Faurisson. Du coup, aux yeux des juges, Dieudonné ne devait plus se voir reconnaître cette large liberté d’expression propre aux artistes. Les juges ont-ils eu raison ? A mon avis, ca se discute parce qu’il me semble bien délicat de déterminer où débute l’humour et où il prend fin. Et puis aussi parce que plus fondamentalement, face aux idées qui sont exprimées, ne doit-on pas simplement partir du principe qu’on doit laisser dire…et alors, de deux choses, l’une. Soit l’idée est fausse, incorrecte, imbécile, nauséabonde et on n’aura alors pas de mal à la réfuter, à la disqualifier, à la mettre de côté. Soit ce n’est pas le cas, et alors heureusement qu’on peut l’entendre, qu’on peut la prendre en considération pour réfléchir, pour comprendre, pour dialoguer. Moi, à choisir, mesdames et messieurs les juges, je préfère trop de liberté que pas assez… Et pour cette raison, je vous demande de dire et de juger que l’artiste peut et doit pouvoir dire et faire tout ce qu’il veut ! Je vous remercie.

François Dubuisson :

Mesdames et messieurs, maître Lagerwall vient de vous exposer une conception quasi-absolue de la liberté d’expression de l’artiste, qui ne devrait connaître pratiquement aucune limite. A la question de savoir si, lors de spectacles, on doit pouvoir proférer les pires des obscénités, comme Lenny Bruce, elle répond que oui. Si l’on doit pouvoir exposer publiquement des tableaux représentant des orgies sexuelles, elle répond encore oui. Si l’on peut chanter, comme Orelsan, l’apologie du sexisme et de la violence à l’égard des femmes, elle répond toujours oui. Et quant à savoir si Dieudonné peut tenir des discours haineux devant une large audience, elle répond inlassablement…oui !

Pour ma part, je défendrai une conception de la liberté d’expression bien plus raisonnable, comportant des limites très strictes incitant à interdire les discours choquants ou offensants, y compris pour les artistes. Non, la liberté artistique ne permet pas de tout dire, elle n’autorise pas à choquer ou offenser ! L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ne dit d’ailleurs pas autre chose. Après avoir, certes, affirmé le principe de la liberté d’expression, l’article 10 indique que l’on peut y apporter des restrictions, en prenant en considération toute une série de motifs qui visent notamment la protection de la morale et la protection des droits d’autrui. Les autorités publiques ont donc un véritable devoir de protéger la morale généralement acceptée, de préserver les citoyens des propos qui seraient susceptibles de les offenser ou de les choquer. L’objectif étant de préserver la paix publique et de garantir le vivre-ensemble.

Article 10 :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations ».

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Comme vous pouvez le lire, l’article 10 mentionne le fait que la liberté d’expression comporte des « devoirs et responsabilités ». Pour ma part, j’estime que ces « devoirs et responsabilités » trouvent tout spécialement à s’appliquer aux artistes et aux humoristes. Compte tenu de la célébrité qu’ils peuvent avoir et de l’audience qu’ils peuvent toucher, leurs propos sont susceptibles d’exercer une immense influence. Et trop souvent, l’art ou l’humour apparaissent comme un prétexte pour attaquer les croyances d’autrui, pour s’en prendre aux personnes vulnérables, pour choquer gratuitement. Comme ces œuvres peuvent se répandre très largement, elles peuvent heurter des personnes qui n’ont pas demandé à les voir ou à les entendre. Regardez la photo de cette jeune personne dans le public de Lenny, manifestement abasourdie par l’obscénité des propos qui viennent d’agresser ses oreilles.

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Les œuvres artistiques et leur message peuvent également être mal compris et susciter des tensions entre différentes parties de la population. C’est pour cette raison que l’expression de l’art ou de l’humour doit absolument être encadrée par des limites strictes, permettant de sauvegarder la morale et l’ordre public, compte tenu des troubles que des chansons, des tableaux, des dessins ou des sketches pourraient provoquer.

Je vais illustrer mon propos en évoquant trois affaires.

Premier cas : l’affaire Müller c/ Suisse. Dans cette affaire, trois tableaux avaient été présentés par le peintre suisse Josef Felix Müller dans une exposition publique. Voici une reproduction de deux d’entre eux.

ttp://www.jfmueller.ch/cms/images/werke/werk1.jpg laisirs masculins ou le petit train by josef felix müller

Ces tableaux ont été trouvés choquants par un visiteur de l’exposition qui était accompagné de sa fille mineure, et qui a dès lors alerté les autorités. Le juge suisse a estimé que les tableaux étaient contraires à la loi interdisant les images obscènes. Il a ainsi déclaré :

« Il est certain que les trois œuvres de Müller, si elles n’excitent pas sexuellement l’homme normalement sensible, provoquent à tout le moins de l’aversion. De telles images – sodomie, fellation, bestialité, phallus en érection -, heurtent manifestement les conceptions morales de la très grande majorité des citoyens. Même si elle poursuit un but artistique, la sexualité grossière n’est pas digne de protection (…) ».

Et bien, cette décision a ensuite été approuvée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a considéré qu’il était parfaitement légitime pour la Suisse d’estimer nécessaire de sanctionner ce type de tableaux, compte tenu des valeurs que ce pays entend promouvoir (C.E.D.H., affaire Müller et autres c. Suisse, arrêt du 24 mai 1988).

Le deuxième cas se réfère à une personnalité que vous connaissez probablement bien, déjà évoquée par Me Lagerwall : Dieudonné. Jadis, il fut un humoriste talentueux. Mais malheureusement, ses sketches ont progressivement laissé place à des discours de plus en plus haineux. Et alors que de belles âmes, comme celle de Me Lagerwall, prônaient la tolérance vis-à-vis de ses idées, ses propos nauséabonds ont gagné une audience de plus en plus forte. C’est bien trop tardivement que des condamnations sont intervenues, et que certains de ses spectacles ont été interdits. Le mal était fait. Dans une décision rendue en 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que M. Dieudonné ne pouvait se cacher derrière son statut d’artiste ou un prétendu droit à l’humour pour répandre ses idées racistes et antisémites (C.E.D.H., affaire M’bala M’bala c. France, décision du 20 octobre 2015). Je me permets de citer les propos de la Cour :

« La Cour considère ainsi que la soirée avait perdu son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un meeting. Le requérant ne saurait prétendre avoir agi en qualité d’artiste ayant le droit de s’exprimer par le biais de la satire, de l’humour et de la provocation. La Cour ne saurait accepter que l’expression d’une idéologie qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de la société, à savoir la justice et la paix, soit assimilée à un spectacle, même satirique ou provocateur, qui relèverait de la protection de la [liberté d’expression] » (§ 39).

Enfin, un troisième cas, tiré de l’actualité récente, est également très éclairant. Il s’agit de l’affaire « PewDiePie », du nom de ce Youtubeur suédois très célèbre auprès des jeunes, paraît-il. Ce blogger a posté, en janvier 2017, plusieurs vidéos reprenant des messages haineux, qu’il a fait brandir par des personnes engagées via un site internet, pour 5 dollars.

http://s1.lprs1.fr/images/2017/02/14/6680508_pewdiepie.png

Sans doute n’avait-il pas la volonté d’être offensant et voulait-il simplement montrer « à quel point le monde moderne est devenu fou, et plus particulièrement certains services en ligne » (http://www.liberation.fr/futurs/2017/02/14/la-superstar-de-youtube-pewdiepie-se-vautre-avec-l-antisemitisme_1548432). Mais comment être sûr que tout le monde soit capable de décoder son message, et ne l’ait pas pris plutôt au premier degré. Et le même constat vaut pour la chanson d’Orelsan, par exemple, dont on comprend mal qu’il n’ait pas été condamné, tant son texte aurait pu inspirer des actes de violence :

« T’es juste une truie
tu mérites ta place à l’abattoir
J’veux t’voir rendre l’âme
J’veux te voir retourner brûler dans les flammes
J’vais te mettre en cloque (sale pute)
Et t’avorter à l’opinel ».

Cela se passe de commentaires…

De tels comportements, sous la façade de l’humour sarcastique, sont en réalité irresponsables. Et il est heureux que la loi et le juge puissent les sanctionner pour éviter tout abus.

Alors, en conclusion, Lenny devait-il être condamné ? C’est à chacun de juger en conscience quant à savoir si, par ses vulgarités répétées, il a franchi les limites admissibles prévues par la loi, compte tenu des conceptions morales de l’époque. Mais ce qui est certain, c’est qu’il savait pertinemment que la loi américaine interdisait les discours obscènes, et qu’il n’y avait donc rien de surprenant à ce qu’il fasse l’objet de poursuites devant un juge. De ce point de vue, et c’est essentiel, le fait qu’il soit un artiste ou qu’il se prétende humoriste, ne peut en aucun cas constituer une excuse. Il doit être soumis à l’application de la loi comme toute autre personne. Et même plus que toute autre personne, compte tenu du rôle influent que jouent les artistes dans nos sociétés. Mon point de vue est donc qu’il est nécessaire que la liberté des artistes et des humoristes soit strictement encadrée, afin de préserver la morale et de garantir la paix publique. Non, la liberté artistique n’autorise pas à tout dire. Je suis persuadé que vous saurez faire le bon choix.

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