Les mesures anti-covid violent-elles les droits humains ? Un bref commentaire d’Eric David

Les mesures destinées à enrayer la propagation du corona virus ont provoqué de nombreuses manifestations de gens qui estiment que ces mesures – confinement, vaccination obligatoire, production d’un pass covid (le covid safe ticket – CST), limitation des rassemblements, etc – sont liberticides et affectent les droits et libertés fondamentaux. Ainsi, les organisateurs de la manifestation européenne qui s’est déroulée à Bruxelles, le dimanche 23 janvier 2022 (Europeans United for Freedom regroupant quelque 600 organisations), qualifiaient cette manifestation de rassemblement « pour la liberté », « la démocratie » et « les droits de l’homme ». Cette manifestation qui a regroupé 50 000 personnes, selon la police (500 000 selon les organisateurs, venues de Belgique mais aussi d’autres pays européens montre le succès de ce type de mot d’ordre.

Qualifier les mesures anti-covid de violation des droits humains est évidemment une baudruche facile à dégonfler : il suffit de lire la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 protégeant des droits tels que le respect de la vie privée ainsi que les libertés de conscience, d’expression, de réunion et d’association (art. 8-11) : chacune des dispositions relatives à ces droits et libertés contient un paragraphe prévoyant expressément que la loi peut les limiter par des mesures qui, « dans une société démocratique » sont nécessaires pour assurer, entre autres, « la protection de la santé ». Par exemple, l’art. 8 prévoyant le droit au respect de la vie privée et familiale dispose :

  1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
  2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. (italiques ajoutés).

Le même type de restriction fondée sur la protection de la santé se retrouve dans d’autres instruments protecteurs des droits humains ; par ex., le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques (art. 12, 18-22) ou la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant (art. 10, 13-15). Il est donc irrationnel d’invoquer les droits humains pour manifester contre les mesures visant à prévenir la propagation du corona virus.

Cela n’a cependant pas empêché des particuliers d’attaquer ces mesures devant la Cour EDH. Tel a été le cas de l’aff. Vavřička et autres c. République tchèque où les requérants estimaient que l’obligation légale de faire vacciner leurs enfants pour qu’ils puissent accéder à l’école maternelle était contraire à l’art. 8 de la Convention (texte ci-dessus). La Cour, réunie en grande Chambre, a débouté les requérants après avoir constaté que, si la vaccination obligatoire constituait bien « une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée » (arrêt du 8 avril 2021, § 263), cette ingérence pouvait se justifier 

  • au regard des nécessités de « la solidarité sociale » (ibid., §§ 279 et 306) ;
  • pour répondre au « besoin social impérieux de protéger la santé individuelle et publique contre les maladies en question » (ibid., § 284) ;
  • au nom de « l’intérêt supérieur des enfants » (ibid., §§ 287) s. ;
  • en tant que mesure se situant « dans un rapport de proportionnalité raisonnable avec les buts légitimes poursuivis par l’État défendeur à travers l’obligation vaccinale » (ibid., § 309 ; voy. aussi § 306).

Ce faisant, la vaccination obligatoire des enfants imposée par la République tchèque n’excédait pas la « marge d’appréciation » de l’État défendeur. La Cour concluait « que les mesures litigieuses étaient ‘nécessaires dans une société démocratique’ » (ibid., § 310). 

L’arrêt a été rendu à la quasi unanimité par seize voix contre une, celle du juge polonais, K. Wojtyczek, qui observait, entre autres, qu’il n’avait pas été prouvé « que les États ayant mis en place l’obligation vaccinale [obtenaient] de meilleurs résultats en matière de santé publique que les États qui n’[avaient] pas instauré cette obligation » (ibid., op. diss. Wojtyczek, § 16). On notera pourtant qu’en Belgique des observations épidémiologiques démontrent clairement les avantages de la vaccination sur l’absence de vaccination :

« Sciensano a analysé les chiffres en milieu hospitalier entre le 18 et le 31 octobre 2021. Pour les 18-64 ans, d’abord. Ce que l’on remarque : quatre personnes entièrement vaccinées sur 100.000 ont été admises à l’hôpital, contre 31 sur 100.000 non vaccinées ; le risque est donc 88% inférieur chez les personnes immunisées[1]. »

Au vu de ce qui précède, on voit que la référence au respect des droit humains brandie par les participants à la manifestation du 23 janvier dernier à Bruxelles reste un simple slogan dénué de tout fondement tant juridique que scientifique. Cette invocation des droits humains pour contester les mesures sanitaires décidées par l’État n’en démontre pas moins que la complosphère est aussi résistante, voire plus résistante, que les virus, un phénomène qu’on ne peut malheureusement pas endiguer à l’aide de vaccins. Comme l’écrit Juval Noah Harari : « il ne faut jamais sous-estimer la bêtise humaine » (21 leçons pour le XXIe siècle, Paris, Albin Michal, 2018, p. 287) mais il faut en rester conscient et déployer contre elle la même énergie que contre les virus …


[1] https://www.rtbf.be/article/vaccin-hospitalisations-soins-intensifs-et-deces-que-disent-les-chiffres-en-belgique-10886442

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