André ANDRIES In memoriam – par Éric David

C’est très discrètement que le véritable père de la compétence universelle belge, André Andries, nous a quitté le 1er septembre 2018. Né le 15 octobre 1930 à Léopoldville, c’est à Spa, tout près de son domicile ardennais de Vertbuisson qu’il est parti sans crier gare après des courses en ville. Selon un témoin, il se serait assis au volant de sa voiture et se serait affaissé sans avoir eu le temps de démarrer. Une mort douce après une carrière exemplaire dans la magistrature debout auprès des juridictions militaires belges, une carrière commencée en 1960 et achevée en 1995 avec le titre de Premier Avocat général près la Cour militaire. Mais la vie d’André Andries ne s’est pas limitée à être le représentant de la loi. Il a aussi, et surtout, été un ardent militant du droit international humanitaire (DIH), et ce, tant dans ses écrits que dans la mise en œuvre concrète de ce droit.

1. Les écrits

André Andries a laissé une œuvre doctrinale de qualité où, parmi diverses études consacrées au DIH, il a montré que l’emploi d’armes nucléaires constituait un crime de guerre (voy. notamment, «L’emploi de l’arme nucléaire est un crime de guerre», La Revue Nouvelle (Bruxelles), mars 1983, pp. 315-332, et «Pour une prise en considération de la compétence des juridictions pénales nationales à l’égard des emplois d’armes nucléaires», RDPC, 1983-1984, pp. 31-98). C’est une position qu’il avait vigoureusement défendue lorsque, dans les années 80, la Belgique envisageait d’accepter l’installation sur son sol des missiles américains Pershing et Cruise dotés d’ogives nucléaires (sur la question, voy. les actes du colloque de l’Association internationale des Juristes démocrates et de l’Union belgo-luxembourgeoise de droit pénal, Bruxelles, Bruylant et éd. de l’Université de Bruxelles, 1984, 198 p.).

C’était une position courageuse pour un magistrat militaire qui entraînera d’ailleurs une réaction musclée du ministère de la Défense sommant André Andries de se rétracter. Celui-ci ne changera pas d’un iota une position juridique qui sera d’ailleurs partiellement confirmée 12 ans plus tard, lorsque la Cour internationale de Justice (CIJ), dans son célèbre avis consultatif sur la légalité de l’emploi des armes nucléaires, conclura, par sept voix contre sept avec la voix prépondérante du Président de la Cour « que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et spécialement aux principes et règles du droit humanitaire » (Rec. CIJ 1996, p. 266, § 105 E).

La position d’André Andries était purement scientifique et ses qualités de juriste en ont fait un membre actif de la Société internationale de droit militaire et de droit de la guerre dont il deviendra le président d’honneur et président de la Commission de criminologie. Il fut aussi adjoint au directeur de la Revue de droit pénal militaire et de droit de la guerre.

Autre trace notoire d’André Andries dans l’histoire du droit pénal belge : il rédigea, en 1993, l’avant-projet de loi de mise en œuvre des dispositions pénales des 4 Conventions de Genève (CG) de 1949 et de leur 1er Protocole additionnel (PA) de 1977, un texte qui permettait de poursuivre les auteurs de crimes de guerre quel que fût l’endroit où le crime avait été commis et quelles que fussent la nationalité de l’auteur présumé ou celle de la victime du crime. C’était la fameuse loi dite de « compétence universelle ». Le texte allait cependant au-delà de ce qu’exigeaient les traités précités car la loi belge obligeait les autorités judiciaires belges à poursuivre l’auteur présumé du crime même si celui-ci n’était pas en Belgique et alors que le crime ne présentait aucun lien avec la Belgique. On ne reviendra pas sur les péripéties de cette loi et le succès qu’elle valut à la Belgique auprès des victimes de violations du DIH un peu partout dans le monde : la Belgique devenait la terre promise de la lutte contre l’impunité mais des plaintes déposées contre les dirigeants les plus puissants de la planète (notamment, G. Bush et Vl. Poutine) et les difficultés diplomatiques auxquelles se heurta la Belgique obligèrent celle-ci à limiter la portée de la loi aux seuls cas où le droit international exigeait l’ouverture de poursuites pénales, ce qui excluait les poursuites par défaut des auteurs présumés de crimes sans lien avec la Belgique. Le travail légistique d’André Andries ne disparaissait pas pour autant mais il était partiellement édulcoré.

2. La mise en œuvre du DIH

Le travail d’André Andries pour la défense et la promotion du DIH ne se limita pas à l’écriture de textes mais s’étendit à des entreprises concrètes de mise en œuvre de ce droit, notamment par la Belgique : d’une part, c’est sous l’impulsion d’André Andries que des enseignements à destination des officiers conseillers en droit des conflits armés ont été créés à l’armée belge. Il enseigna d’ailleurs pendant 5 ans le droit pénal des conflits armés à l’Institut royal supérieur de Défense (IRSD). D’autre part, conscient que la mise en œuvre pratique du DIH comportait des obligations pour la Belgique dans de nombreux secteurs d’activité de la vie sociale, André Andries fut à l’origine de l’institution de la Commission interdépartementale de droit humanitaire, un organe composé de représentants de tous les ministères concernés par la mise en œuvre du DIH, que ce soit pour les services de secours et de santé, les ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères, de la Santé, les instances culturelles, les forces de maintien de l’ordre, la protection civile, etc. Cet organe, le premier du genre dans le monde, a d’ailleurs servi de modèle aux autres États qui se sont dotés de commissions analogues.

Enfin, lorsqu’en 1991, la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (la CIHEF) prévue par le 1er PA (art. 90) aux fins de se prononcer sur d’éventuelles violations du DIH put être constituée, André Andries en devint le 1er Président et c’est lui qui, d’emblée, fit adopter par la Commission une règle interne prévoyant que celle-ci serait compétente pour des violations du DIH commises dans des conflits armés aussi bien internationaux que non internationaux alors que le 1er PA instituant cette commission n’était applicable qu’aux premiers. Cette extension prétorienne de compétence ne donna toutefois lieu à aucune protestation de la part des États parties au 1er PA et on peut dire que c’est grâce à l’esprit d’initiative d’André Andries que cet organe international peut exercer des tâches qui, au départ, ne lui étaient pas confiées par les États. C’est un progrès dans le contrôle international du respect du DIH même si, à ce jour, les compétences de la CIHEF n’ont guère été sollicitées par des belligérants.

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André Andries ne fut pas qu’un défenseur infatigable du DIH même si c’est principalement à ce titre que le Centre de droit international lui rend le présent hommage : homme universel, il ne craignait pas de mêler pensées philosophiques et travaux manuels dans l’arrangement de sa maison ardennaise ou d’une ancienne tour en Provence. Il se reconvertit, durant sa retraite, en historien de son hameau (Vertbuisson) et des alentours. La qualité de ses recherches lui valut de recevoir en 2006 le prix Tectis octroyé par la commune de Theux (dont Vertbuisson fait partie) pour l’œuvre fournie au bénéfice de la commune. Là où il est désormais, il veillera certainement à poursuivre le travail commencé de son vivant, notamment pour le respect du DIH. Il connaît la difficulté de la tâche mais cela ne devrait ni l’effrayer ni le freiner et on peut penser que si le DIH est mieux appliqué aujourd’hui sur certains théâtres de conflits – voy. les exemples de refus par certains pilotes d’avions de l’OTAN (dont des Belges) de bombarder des cibles militaires en Libye en 2011 en raison des risques de dommages collatéraux pour des civils à proximité de ces cibles –, c’est peut-être aussi parce qu’André Andries y aura contribué.

Eric DAVID [1],
Professeur émérite de droit international public,
Président du Centre de droit international de l’ULB.

  1. Merci à M. Miguel Fobe, avocat général éùérite près la Cour militaire, et à Mme Jascqueline Verhaegen pour les précisions biographiques fournies à l’auteur.

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