Ernest Nys (1851-1920)

Ernest Nys (Courtrai le 27 mars 1851 – Bruxelles le 4 septembre 1920)

On citera ici la « notice Ernest Nys », parue sous la plume de Jean Salmon dans la Nouvelle biographie nationale, tome 9, Académie royale de Belgique, 2007, pp. 283-285

« C’est à l’Université de Gand qu’il avait obtenu ses diplômes de Docteur en droit et en sciences juridiques et administratives en 1874. Il poursuivit ensuite ses études dans les universités allemandes d’Heidelberg, de Leipzig et de Berlin. Il y suivit notamment les enseignements d’illustres internationalistes comme Blunschli et Heffter.

Rentré en Belgique en 1876, il s’inscrit au barreau d’Anvers en 1877. En 1878, avec l’arrivée au pouvoir du parti libéral, il devient chef de bureau au ministère de la Justice. Il entre dans la magistrature en 1882 comme juge au tribunal de première instance d’Anvers le 6 mai 1882. Le 15 juillet 1883, il est nommé juge au tribunal de première instance de Bruxelles; il sera vice-président du tribunal le 6 décembre 1898 et enfin conseiller à la cour d’appel de Bruxelles le 10 septembre 1903 et président de chambre à cette Cour le 11 février 1920 peu de temps avant sa mort.

Parallèlement à ses fonctions de magistrat, il poursuivit une carrière professorale à l’Université libre de Bruxelles de 1885 à 1920 à laquelle il sera fait référence ci-dessous. Il fut président de la Faculté de droit (1898-1900) et délégué de la Faculté de droit auprès du Conseil d’administration (1900-1902), membre de l’Académie Royale de Belgique (correspondant le 4 décembre 1899, titulaire le 5 mai 1902), et de l’Académie de Roumanie, membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, à partir de la création de celle-ci en 1905 jusqu’en 1920.

Son intérêt pour le droit international, appelé alors « droit des gens », se marque dès sa première publication en 1879 (en langue anglaise) : The Papacy considered in relation to International Law. Ses rapports avec l’Angleterre furent toujours très étroits. À partir de 1877, il fit de fréquents séjours à Oxford et à Londres, où il passait le clair de son temps dans la riche bibliothèque du British Museum. Il traduit en français deux ouvrages fondamentaux de la littérature de droit des gens de langue anglaise de l’époque ; les Principes de droit international de James Lorimer (1885) et les Études sur le Droit international de John Westlake (1895). Il sera fait docteur honoris causa des universités d’Edimbourg, de Glasgow et d’Oxford.

Alphonse Rivier, qui illustrait alors à l’ULB la chaire de Droit des gens (intitulée à l’époque « Éléments du droit des gens »), le remarqua  et l’introduisit à l’Institut de droit international – qui avait été créé en 1873 – d’abord comme secrétaire adjoint dès 1880, ensuite comme membre associé (lors de la session de Turin en septembre 1882, IDI, Annuaire, vol. 6, p. 20 et 327), puis comme secrétaire et membre titulaire (lors de la session de Bruxelles de septembre 1885, Annuaire, vol. 8, p. 16). Nys y présenta en 1902 un rapport sur le régime juridique des aérostats (Annuaire, vol. 19, session de Bruxelles, 1902, pp. 86-114).

Rivier le fit entrer également au secrétariat de rédaction de la Revue de droit international et de législation comparée. Comme on l’a déjà signalé plus haut, il s’agissait de la première revue de droit international mondiale, créée en 1869 en Belgique, à Gand, en langue française, par Gustave Rolin Jaequemyns. Nys va y jouer un rôle important. Il y publiera entre 1882 et 1914 près de 125 notices et articles. (voir infra liste en bibliographie). Il est secrétaire de rédaction de la Revue à partir de 1883; il restera dans son comité de direction jusqu’à son décès en 1920.

Rivier fut aussi celui qui lui ouvrit la carrière professorale à l’ULB. Nys conquiert à la Faculté de droit le titre d’agrégé spécial (en droit des gens) le 5 février 1885; il est nommé  chargé de cours à cette Faculté le 20 juin de la même année, puis professeur extraordinaire, et professeur ordinaire le 18 juillet 1892. Il y enseigne d’abord l' »Encyclopédie du droit » et l' »Introduction historique au cours de droit civil ». À partir de 1898, au décès d’Alphonse Rivier, il assure naturellement la suppléance des cours de ce dernier puis est titularisé pour l’enseignement du Droit des gens qu’il conservera de 1898 à 1920. Il enseigne également le « Droit des gens » et l' »Histoire diplomatique de l’Europe depuis 1815″ à l’École des sciences politiques et sociales (1899-1920).

L’œuvre scientifique d’Ernest Nys est immense, diversifiée, polymorphe, baroque. Sa bibliographie dépasse les 200 titres. Esprit curieux, passionné d’histoire, faisant preuve d’une érudition exceptionnelle, il a traité pratiquement de tous les sujets de droit international. Il y a tout de même quelques fils conducteurs que l’on esquissera ci-dessous.

L’histoire du droit international fut à l’évidence un thème majeur dans sa production. Et par histoire, il faut entendre la période s’étendant des temps les plus reculés à l’époque qui lui était contemporaine et embrassant toutes les civilisations. Mentionnons pêle-mêle, dans le seul but de donner un échantillon de l’ampleur de son érudition, les titres suivants.  Les théories politiques en Angleterre pendant le Moyen-Âge, le droit des gens dans les rapports des arabes et des byzantins, le droit intertribal – les caravanes, Honoré Bonet et Christine de Pisan, Rabelais et la science du droit, les siete partidas, le droit de la vieille Irlande, les institutions primitives du haut nord, la ligne de démarcation d’Alexandre VI, l’Inde aryenne, le droit des gens et les anciens jurisconsultes espagnols, le droit des indiens, la période de Grotius, le droit de la guerre et les condottieri, les utopistes du XVIe siècle, les théories politiques en Angleterre pendant le XVIe et le XVIIe siècle, le règlement du pape Jules II, les théories politiques et le droit international en France jusqu’au XVIIIe siècle, la révolution française et le droit international, l’esclavage noir devant les jurisconsultes, le concert européen, etc. Ce n’est, répétons-le, qu’un échantillon.

Il fit de très nombreuses notes savantes – intitulées souvent « histoire littéraire du droit des gens » parues dans la RDILC sur des auteurs de droit des gens dont le nom était et reste souvent oublié; il exhumait leurs écrits des manuscrits et anciens ouvrages conservés à la bibliothèque du British Museum. Il écrivit l’introduction de quelques traductions d’anciens auteurs dans la série des Classics of international lawréédités par la Dotation Carnegie entre 1912 et 1936, notamment du De Indis et De jure belli de Francisco de Victoria en 1917 et du De legationibus libri tres d’Alberico Gentili en 1924.

Autre thème récurrent de ses intérêts l’histoire de la papauté et du mouvement maçonnique auquel il consacra également un ouvrage intitulé Idées modernes, Droit international et franc-maçonnerie. Liant à la souveraineté territoriale et à la substance étatique la qualité de sujet de droit des gens, il dénie au Vatican  cette qualité après l’annexion à l’Italie des Etats pontificaux en 1870.

Notons encore plusieurs articles ou ouvrages sur la diplomatie, sur le droit de la mer, le droit de la guerre et de l’occupation, la reconnaissance des Etats, l’acquisition de territoires, l’arbitrage, etc.

Il fera paraître en 1904 (première édition) puis en 1912 (deuxième édition) une grande synthèse du droit international en trois volumes sous le titre Le droit international, Les principes, les théories, les faits. Le titre est révélateur d’une méthode qui conserve toute sa valeur. Il dégage les grands principes et les règles de ce droit, non seulement en partant des écrits des auteurs dont il est un connaisseur érudit, mais encore en les illustrant par de très nombreux faits tirés de l’histoire des relations internationales. Si sa philosophie personnelle perce, par la défense des idées libérales et démocratiques et une croyance au progrès, il apparaît comme un auteur à la fois positiviste et réaliste fondant les règles sur la pratique étatique.

Il est difficile de résumer en quelques lignes une telle synthèse. L’auteur s’affiche en défenseur de la souveraine égalité des Etats; il est opposé aux privilèges des grandes puissances dont il condamne le prétendu droit d’intervention dans les affaires intérieures des faibles.  La reconnaissance n’est pas une condition d’existence des Etats, seulement de leur opposabilité aux autres. Il défend la souveraineté pleine et entière des Etats neutres  (Voyez aussi « La Belgique et la garantie des cinq puissances » (RDILC 1901) et « La Nouvelle Belgique » (1918)). Il soutient la conception de l’Etat, personne publique. Ainsi, ne se montre-t-il pas favorable à l’immunité restreinte des Etats (point de vue qui allait pourtant s’imposer plus tard avec le triomphe du libéralisme économique).

Son discours peut se faire cinglant à l’égard des comportements non démocratiques. Ainsi, il fustige le traitement que la Russie réserve à ses propres populations (t. II, p. 108), la politique des puissances pour instaurer un protectorat au Maroc (p. 119), l' »odieux traité » de 1872 relatif à la partition de la Pologne (p. 225), le Syllabus de Pie IX qui condamne le principe de non-intervention (p. 231), l’hégémonie des Etats-Unis sur les autres Etats du nouveau monde, hégémonie « dénuée de base » (p. 247), l’expulsion vers leur pays d’origine des « anarchistes » qui cherchent asile à l’extérieur. Il estime, à cet égard, que la déclaration de St Pétersbourg de 1904 constitue « une injustice et une infamie » (p. 289), Il écrit ce qui suit: « il n’est pas une idée généreuse, pas une protestation contre la tyrannie, pas une revendication de la liberté, pas un cri vers le mieux-être qui n’aient été traités comme autant de forfaits contre l’ordre de choses existant » (p. 303).

Plusieurs thèmes abordés dans son oeuvre concernent spécifiquement la Belgique. Mentionnons spécialement une étude intitulée « Histoire littéraire du droit international en Belgique » où il retrace les conceptions que des auteurs belges anciens et méconnus se sont faites de ce droit. Plusieurs publications sur l’Escaut : « L’Escaut en droit des gens » (1903), « L’Escaut en temps de guerre » (1910) « L’Escaut et la Belgique, Simples notes » (1920). Il écrivit aussi plusieurs études pénétrantes sur l’État indépendant du Congo et le droit international (RDILC, 1903).

Les circonstances dramatiques du pays pendant la guerre 1914-1918 l’ont amené à appliquer au sol belge l’expertise qu’il avait acquise dans le domaine de l’occupation de guerre. Interrogé par de nombreuses autorités belges (communes, caisse d’Epargne, banque nationale, etc.) il donna de nombreux avis sur les pouvoirs de l’occupant; il se montra un rigoureux défenseur des droits de l’Etat occupé. Ses avis donnés pendant la guerre formaient un manuscrit de 13 volumes dont une partie fut publiée en 1919 « L’occupation de guerre, Avis, Études, Exposés juridiques« .

Il écrivit aussi dans la Revue de droit international et de législation comparée ou dans l’Annuaire de l’Académie de nombreuses notices nécrologiques parmi lesquelles on mentionnera celles relatives à François Laurent (RDILC 1887), Emile Banning (RDILC, 1898), Alphonse Rivier (RDILC, 1899), Gustave Rolin Jaequemyns (RDILC, 1910 et Annuaire 1910).

Paul Errera qui à son tour rédigea sur Ernest Nys une très belle notice, admirait autant l’homme que le savant. Il écrit de lui : « L’extrême modestie de sa vie qui ne connut jamais les vanités mondaines, n’a permis qu’à peu d’amis de l’approcher et de l’apprécier pleinement en tant qu’homme » ou encore « le cœur était à la hauteur de l’intelligence, ce qui n’est pas peu dire ».


Bibliographie de Ernest Nys

Sources:

  • Charles de Visscher, « Nécrologie Ernest Nys », RDILC, 1920, p. 141. 
  • Paul Errera, « Notice sur Ernest Nys », Annuaire de l’Académie royale de Belgique, 88e année, Bruxelles 1922, pp. 75-113. Même notice publiée (sauf la bibliographie) dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1920, pp. 385-405.
  • Cte Goblet d’Alviella 1884-1909, L’Université de Bruxelles pendant son troisième quart de siècle, Bruxelles, 1909, pp. 215-216.
  • 1909-1934 L’Université de Bruxelles, Bruxelles 1934. p. 82.
  • Henri Rolin, « Notice sur Ernest Nys », Revue de l’Université de Bruxelles, t. IV, 1951-1952, pp. 349-357.
  • Jean Salmon, « notice Ernest Nys », Nouvelle biographie nationale, tome 9, Académie royale de Belgique, 2007, pp. 283-285
  • Journal des étudiants de l’Université de Bruxelles, 1912, article sur Ernest Nys (archives ULB).

Bonnes gravures:

  • Annuaire de l’Académie royale de Belgique, 88e année, Bruxelles 1922, face à la page 75.
  • Journal des étudiants de l’Université de Bruxelles, 1912.